La plupart des étudiants en histoire de l’art ont entendu parler du dernier projet, resté inachevé, d’Aby Warburg, le Bilderatlas Mnemosyne, créé dans les années qui ont précédé la mort de l’historien de l’art allemand en 1929. Mais rares sont ceux ayant une idée précise de son contenu. Aujourd’hui, après « 50 ans de déni » – comme les conservateurs Roberto Ohrt et Axel Heil qualifient la période écoulée depuis que l’historien de l’art Ernst Gombrich a qualifié cette œuvre d’échec –, cette dernière est exposée à la Haus der Kulturen der Welt (HKW) à Berlin. Contrairement aux tentatives précédentes de montrer les 63 panneaux entiers (chacun mesure 2 m sur 1,5 m), l’exposition de la HKW comprend non seulement des reproductions, mais aussi environ 80% des images originales utilisées dans la dernière version de l’atlas, retrouvées grâce à des recherches approfondies réalisées au sein de la collection photographique de l’Institut Warburg à Londres.
Mnemosyne est un atlas d’images, soigneusement juxtaposées et séquencées pour donner un aperçu de la nature de la pensée à travers l’art. L’ambition de Warburg était de rendre visibles des récurrences de symboles et de gestes, de thèmes et de styles, de l’Antiquité à nos jours, en dressant une cartographie de ce que l’historien de l’art considérait comme la vie et les errances des images. L’atlas est composé principalement de reproductions photographiques mais aussi de graphiques et d’estampes, ainsi que de quelques dessins et aquarelles. Les 971 images contenues dans la version de l’automne 1929 sont mieux connues à travers des livres, comme les éditions presque exclusivement en noir et blanc compilées par Martin Warnke avec Claudia Brink et Christopher Johnson.
L’AMBITION ÉTAIT DE RENDRE VISIBLES DES RÉCURRENCES DE SYMBOLES ET DE GESTES
Une grande attention a été portée aux relations sémantiques que Warburg entendait établir à l’intérieur et entre les panneaux. Son projet était de publier le Bilderatlas Mnemosyne non seulement comme un volume d’images, mais aussi qu’il soit complété par des textes, des commentaires historiques et critiques. Les légendes et les brouillons qui nous sont parvenus sont des sources essentielles pour interpréter cette œuvre. Les recherches pour l’exposition, qui ont démarré en 2012, ont révélé plus d’erreurs que prévu dans les analyses précédentes. Selon les conservateurs, il a fallu repartir de zéro et réapprendre à déchiffrer sa démarche. Un volume de 700 pages avec de nombreuses notes est en préparation.
La promesse majeure de l’exposition est de reconstituer l’atlas dans l’espace. Mnemosyne était destiné à fonctionner comme un lieu de pensée dynamique. Warburg a utilisé les panneaux pour illustrer des conférences et des présentations. Pouvoir parcourir l’atlas reconstitué et expérimenter ses aspects non linéaires, polyphoniques et multidimensionnels constitue, de fait, tout l’intérêt de l’exercice.
Au cours des 90 années passées, ces images ont rejoint la collection du Warburg Institute. Beaucoup ont été remontées, coupées ou modifiées. Ces quelque mille images, pour certaines oubliées, sont désormais réunies en hommage à la persistance de la mémoire – qui, après tout, est le sens de mnémosyne.
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« Aby Warburg: Bilderatlas Mnemosyne », jusqu’au 30 novembre 2020, Haus der Kulturen der Welt, Berlin, Allemagne.