Au Maroc, les initiatives destinées à promouvoir la photographie et ses acteurs foisonnent. Mais le métier souffre d’un manque de professionnalisation et fait face à un marché encore balbutiant.
L’ouverture en janvier du musée national de la Photographie à Rabat, sous la houlette de la Fondation nationale des musées (FNM), ne serait qu’un des arbres cachant la forêt. Installé en front de mer, au sein du fort Rottembourg que les Marocains ont pu redécouvrir à l’occasion de la Biennale d’art contemporain, l’établissement entend promouvoir la photographie du continent africain. Carte blanche a été donnée, pour la première exposition temporaire, au street photo- grapher Yoriyas, qui a convié une vingtaine de jeunes photographes. Mehdi Qotbi, président du FNM, répond aux critiques relatives à l’emplacement géographique du musée, susceptible de créer des problèmes de conservation : il rappelle que l’institution qu’il dirige s’est engagée « à respecter les normes scénographiques et à appliquer les standards internationaux en matière de préservation des œuvres ». L’ historienne d’art spécialisée en photographie marocaine Marie Moignard renchérit, en soutenant qu’« ouvrir un tel musée, c’est offrir aussi ses lettres de noblesse à une discipline ».
Un foisonnement d’initiatives
De fait, depuis environ cinq ans, les initiatives pullulent, dans un paysage créatif plutôt éclaté. Pionnière en la matière, la galerie 127 créée à Marrakech par Nathalie Locatelli en 2006, a popularisé de nombreux photographes, notamment des femmes : Safaa Mazirh, Yasmina Bouziane ou la Franco-Espagnole Flore, qui a présenté sa série Maroc, un temps suspendu à la dernière édition de Paris Photo. La reconnaissance dont bénéficie le travail exigeant de la galeriste fait des émules puisqu’une autre galerie spécialisée, Dar el Bacha, a ouvert ses portes à Marrakech et que Daniel Aron vient de créer la Fondation pour la photographie à Tanger. Les espaces d’art ne sont pas en reste. Depuis trois ans, le 18, à Marrakech, propose pendant un mois la manifestation « Daba Photo », qui invite le public à rencontrer des professionnels et à réfléchir aux enjeux du médium photographique à l’ère de la dématérialisation. Situé en périphérie de Casablanca, L’Uzine, un espace d’art et d’échanges s’adressant à un jeune public souvent exclu des manifestations officielles, dispose d’un pôle photo dynamique. Dirigé de septembre 2016 à décembre 2018 par Brahim Benkirane, le lieu a accueilli, en collaboration avec le photographe Laurent Hou, un atelier centré sur la vie des cités ouvrières du quartier. Depuis 2013, le Lcc Program (La Chambre Claire), lancé par la Fondation Alliances, organise tous les deux ans un concours censé promouvoir la photographie africaine émergente. Chacun de ses lauréats a commencé une carrière prometteuse, qu’il s’agisse de Fayssal Zaoui, d’Adil Kourkouni ou, plus récemment, de Maya-Inès Touam.
Mais, dans un pays féru d’événementiel, sans doute est-ce la multiplication des festivals autour de la photographie qui témoigne le mieux de l’effervescence actuelle. Des Rencontres photographiques de Rabat aux Nuits photographiques d’Essaouira en passant par les Rencontres de la photographie de Marrakech (créées en décembre dernier), leur abondance peut donner le vertige. Il y a un an, le studio Hans Lucas a soutenu la fondation à Tanger des Rencontres photographiques professionnelles méditerranéennes « Face à la mer », dirigées par sa fondatrice Mina Mostefa, accompagnée par Wilfrid Estève, co-fondateur, qui visent à améliorer la professionnalisation du métier. « Une façon d’initier la jeune scène à la conceptualisation d’images », souligne Marie Moignard, et de pallier l’absence d’écoles d’art. Sans oublier que le marché de la photographie au Maroc est plus que balbutiant et caractérisé, selon Stéphanie Gaou, créatrice de la librairie-galerie Les Insolites, à Tanger, par « des prix très aléatoires et des cotes précaires ».
L'émergence d'une scène créative
Stéphanie Gaou estime que la photographie marocaine est trop souvent sociologique et les artistes peu enclins à jouer avec leurs propres contraintes : « C’est la photo des balbutiements, ajoute-t-elle, une réappropriation de l’image qui a été pendant longtemps photographiée par les autres.» De fait, la street photo est généralement surreprésentée, favorisant une tendance au témoignage plutôt qu’une réflexion sur la plasticité de l’image. Rares sont les prises de risque chez une génération de photographes qui mettent parfois en avant la nécessité de s’autocensurer. Nathalie Locatelli regrette quant à elle une grande « confusion entre photo (image) et photographie (écriture), accentuée par les réseaux sociaux, tel Instagram qui fabrique des “talents” virtuels». Là encore, ce sont les artistes femmes qui déjouent le mieux les contraintes du médium, ce dont témoignent les séries de Fatima Mazmouz, représentée par la galerie 127, consacrées à la grossesse ou à l’avortement. Une scène à suivre.