À première vue, tout oppose Michel-Ange et Bill Viola. D’un côté, le génie de la Renaissance italienne, de l’autre, l’un des artistes contemporains majeurs, pionnier de l’art vidéo, passé maître du genre. Né à New York en 1951, Viola s’intéresse à ce nouveau médium, alors qu’il est encore étudiant. D’abord sur simple écran, ses recherches aboutissent au fil des ans à de spectaculaires installations immersives, où la prouesse technologique le dispute à une volonté d’explorer différents formats, supports et dispositifs. Des tableaux en mouvement propices à la méditation.
L’artiste américain a découvert les images et lieux sacrés de la Renaissance quand il vivait à Florence, dans les années 1970. Invité en 2006 au château de Windsor, en Angleterre, par Martin Clayton, à la tête des collections de gravures et dessins du Royal Collection Trust et co-commissaire de l’exposition à la Royal Academy, Viola, en fin connaisseur des grands maîtres, s’était montré particulièrement ému à la vue des dessins de Michel-Ange.
Autoproclamé « sculpteur du temps », il croit partager avec son illustre prédécesseur d’égales préoccupations sur la nature de l’expérience humaine. « Ma véritable recherche à travers la vidéo est celle de la vie et de l’être en soi, écrit-il ; le médium n’est qu’un outil dans cette recherche. J’utilise la vidéo parce que je vis à la fin du XXe siècle et que ce médium, comme la télévision, est clairement la forme d’art visuel la plus pertinente dans la vie contemporaine. Le fil conducteur de toute forme d’art a toujours été le même. »
Le titre de l’exposition en donne les grandes lignes : la vie, la mort, la renaissance. À cinq siècles d’écart, tout ce qui les sépare, sur la forme, rapprocherait donc sur le fond les deux créateurs. Las, le postulat se heurte à l’épreuve de l’accrochage. Exceptionnelles, créées dans des styles et à des époques différentes, les œuvres ne dialoguent pas pour autant. Le rapprochement des douze installations vidéo réalisées entre 1977 et 2013 (dont la plupart ont été montrées à Paris lors de la rétrospective au Grand Palais en 2014) avec une quinzaine de dessins de Michel-Ange (dont douze prêts de la collection de la reine) apparaît artificiel. Et surtout inégal.
Lorsque confrontation il y a dans une même salle, la puissance visuelle des vidéos écrase la subtile délicatesse des dessins. Plus qu’un dialogue, c’est une lutte. Une juxtaposition. Quant à la correspondance des thèmes, cette dernière laisse régulièrement perplexe. Les questionnements métaphysiques, la dimension spirituelle, la représentation de la vie et de la mort sont communs à de nombreux artistes. On peut multiplier les exemples à l’envi.
Comment justifier sur la base de cette seule thématique, assez vague, du sens de la vie cette exposition autrement que par la volonté d’accoler sur une même affiche deux grands noms des arts classique et contemporain ? Là réside la limite de l’exercice. Que l’œuvre de Viola gagne à être confrontée à celle de Michel-Ange, rien n’est moins sûr. L’inverse, il va sans dire, est encore plus vrai. Comparaison n’est pas raison. Reste les œuvres. Autant de chefs-d’œuvre qui s’imposent au regard.
Dès la première salle, The Messenger (1996), montré pour la première fois dans la cathédrale de Durham avant de faire l’objet d’une donation à la Tate en 2016, est un choc : un corps masculin nu sombre dans l’eau avant de remonter lentement à la surface, fixer le spectateur, puis s’enfoncer à nouveau. L’alternance de la mort et de la vie comme un cycle de réincarnations ? L’émersion comme une naissance, une renaissance ?
Suit l’impressionnant triptyque Nantes (1992). À gauche, une femme accouche. À droite, une autre – la propre mère de Viola – repose sur son lit de mort à l’hôpital. Au centre, un corps flotte, entre deux eaux, traversée métaphorique de l’existence entre la naissance et la mort. En face, trois dessins de Michel-Ange : des Vierges à l’Enfant et le Taddei Tondo (1504-1507) inachevé de la Royal Academy. Puis The Reflecting Pool (1977-1979), long plan fixe sur un bassin en pleine nature. Un homme habillé plonge, reste en apesanteur, en position fœtale, avant de disparaître dans le paysage. On entrevoit les reflets de silhouettes marchant dans l’eau, sans personne au bord du bassin. Soudain émerge de l’eau l’homme nu, de dos, qui s’éclipse. Plus loin, Slowly Turning Narrative (1992), un large miroir tournant sur un axe au centre de l’espace. Sur son envers, des images vidéo en couleur d’opération chirurgicale, de nourrisson, de feux d’artifice alternent avec un visage en gros plan en noir et blanc. En fond sonore, une voix monocorde psalmodie.
Dans une autre salle, Man Searching for Immortality, Woman Searching for Eternity (2013), deux vidéos projetées sur des plaques de granit noir d’un homme et d’une femme auscultant leur corps à l’aide d’une petite lampe. En face, six dessins de Michel-Ange sur le thème de l’allégorie et du mythe, entre amour charnel et élévation spirituelle, illustrent, si besoin était, son extraordinaire talent de dessinateur, qu’il s’agisse d’Une bacchanale d’enfants (1533) ou des Trois travaux d’Hercule (1530). Autre installation aérienne : The Veiling (1995), une projection d’images déclinées sur neuf voiles transparents faisant office d’écran. Suivent The Dreamers (2013), sept personnages sous l’eau, de tous âges et toutes origines. Dans la plus grande salle, Five Angels for the Millenium (2001), cinq films sur les murs : soleil rouge sur la mer, abysses, constellation, corps émergeant de l’eau ou en suspension, au ralenti.
Dernière confrontation des deux artistes : Surrender (2001), deux figures en miroir dont les corps se dissolvent en couleur pure sous l’effet de l’émotion, face à des dessins de crucifixion et de résurrection, réalisés alors que Michel-Ange, âgé, songe à sa fin prochaine. Le parcours s’achève magistralement, comme il a commencé, avec un duo de vidéos emblématiques réalisées en 2005 pour une mise en scène de Tristan et Isolde de Richard Wagner : Fire Woman et Tristan’s Ascension (The Sound of a Mountain Under a Waterfall).
« Bill Viola/Michelangelo: Life, Death, Rebirth », 26 janvier-31 mars 2019, Royal Academy of Arts, Burlington House, Picadilly, Londres, Royaume-Uni.