Un nouveau tournant performatif s’est opéré depuis une dizaine d’années. Entre l’essor de la création de formes hybrides et la diffusion croissante de pratiques historiques (on situe communément la naissance de ce médium au début du XXe siècle), l’art de la performance connaît un processus d’institutionnalisation sans précédent. Si divers lieux consacrés à la danse contemporaine, par exemple, se déclarent « centres d’art pour la danse » à l’instar du Centre national de la danse à Pantin (sa singulière initiative, « L’invitation aux musées », témoignant d’une remarquable ambition de décloisonnement), ce sont surtout les musées d’art moderne et d’art contemporain qui semblent s’être emparés de la danse, non seulement comme motif ou matrice d’œuvres plastiques, mais également comme discipline à part entière. Les initiatives les plus convaincantes sont sans doute celles qui, par-delà une simple relocalisation au sein du white cube, posent la question de savoir si une chorégraphie peut faire exposition : ainsi, dans son projet Work/Travail/Arbeid, Ann Teresa De Keersmaeker repensa Vortex Temporum (2013), initialement conçu pour la scène, pour l’adapter aux conditions spatiales, temporelles, mais aussi économiques et conceptuelles du contexte muséal. Créée en 2015 par le Wiels (Bruxelles), l’exposition se réinventa au fil de son itinérance au Centre Pompidou, à la Tate Modern (Londres) et au Museum of Modern Art (MoMA, New York).
Entre spectacle et exposition
Ce dernier présente actuellement une exposition non moins exemplaire consacrée au Judson Dance Theater, collectif des années 1960 rassemblant chorégraphes, danseurs, compositeurs, cinéastes et artistes visuels. Trois régimes distincts de production et de monstration s’y articulent : la représentation de pièces de Trisha Brown, Lucinda Childs, Deborah Hay, Steve Paxton ou Yvonne Rainer ; la présentation de documents d’archive, dont de nombreux films, où apparaissent George Brecht, Allan Kaprow, Robert Morris, Robert Rauschenberg ou Carolee Schneemann ; et la réactivation, comme à mi-chemin entre les formats du spectacle et de l’exposition, de Dance Constructions (1961), neuf œuvres chorégraphiques de Simone Forti entrées en 2015 dans les collections du MoMA. L’acquisition des droits d’exploitation de ces performances, ainsi que d’un vaste corpus de notes et d’instructions précises s’accompagne de la responsabilité d’organiser annuellement des workshops dédiés à la body-to-body transmission de ces pièces vivantes, de telle sorte que leur muséification ne soit pas synonyme de momification. C’est là la réflexion centrale de l’ouvrage collectif Is the Living Body the Last Thing Left Alive ? The New Performance Turn. Its Histories and its Institutions (Hong Kong, Parasol Unit/Berlin, Sternberg Press, 2018). Afin que le musée ne devienne pas un mausolée, que les œuvres, quelle que soit leur nature d’ailleurs, soient préservées dans toute leur vitalité, il faut accepter que le récit de l’histoire de l’art sous toutes ses formes soit constamment révisé. Comme l’indique le sous-titre de la rétrospective du Judson Dance Group : " The Work is Never Done. "