Le Camerounais, fondateur de l’espace Savvy Contemporary à Berlin, a notamment été l’un des commissaires de la Documenta 2017 et du Pavillon finlandais de la Biennale de Venise 2019. C’est sous sa houlette que la Biennale africaine de la photographie fêtera ses 25 ans.
Dans quel contexte artistique et politique ouvrirez-vous cette nouvelle édition (novembre 2019 - janvier 2020) ?
Je vais vous parler du projet artistique qui révèle un geste politique. Par le titre, « Courants de conscience », je cherche à transcrire le pouvoir de l’imagination. Qu’est-ce que la responsabilité de la photographie ? Je pense à la rencontre, à travers un morceau de musique, entre Abdullah Ibrahim et Max Roach, mais aussi aux flux qui relient le continent africain et la diaspora. Je parle d’une Afrique planétaire qui existe comme un monde africain. Puisque les Rencontres portent sur la photographie africaine, j’essaie d’examiner en quoi consiste la notion d’africanité, cette citoyenneté diasporique.
Que signifie le terme « dividuals » que vous employez?
Le «dividualisme» existe en sociologie et en philosophie depuis le début du XXe siècle. L’individualisation signifie que vous êtes l’entité minimale, et le dividualisme, que vous faites partie d’un tout. C’est la raison pour laquelle j’accorde une place importante aux collectifs d’artistes dans les Rencontres. Je veux m’interroger sur la manière dont nous pouvons comprendre et construire la société ensemble.
Y a-t-il davantage de collectifs en Afrique qu’ailleurs dans le monde ?
Quand on se rend compte à quel point la vie est fragile, on reste ensemble. Quand tout va bien, on vit davantage séparé. Les collectifs sont toujours apparus dans les moments les plus difficiles, par exemple après la Première Guerre mondiale. Plus vous allez vers le Sud, plus il y a de proximité entre les gens; dans le Nord, ils s’éloignent les uns des autres. C’est aussi la culture du capitalisme. Les artistes du collectif Invisible Borders, qui viennent de différentes disciplines (des photographes, des écrivains, des cinéastes…), veulent mettre au défi la notion de frontière au sens propre sur le continent africain. Nous avons la même intention à Bamako. À la fin des années 1960, les photographes africains-américains du groupe Kamoinge, comme Daniel Dawson ou Anthony Barbosa, n’avaient pas de support de publication aux états-Unis – c’était la « color line ». Ils se sont alors regroupés pour devenir une force. Ce sont ces pratiques collectives qui m’intéressent.
N’y a-t-il pas pour vous quelque chose d’anachronique à organiser une biennale liée à un médium ?
La photographie n’est pas seulement un médium. Il y a deux critères incontournables : que ce soit léger et écrit. Mais il faut étendre et complexifier cette notion : le film et les nouvelles technologies, les jeux vidéo en font aussi partie en tant qu’images animées. Nous organiserons des tables rondes à ce sujet.
J’accorde une place importante aux collectifs d’artistes dans les rencontres. Je veux m’interroger sur la manière dont nous pouvons comprendre et construire la société ensemble.
Au cours du XXe siècle, la photographie a occupé une place singulière sur le continent africain. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
Le continent africain a produit des photographies formidables. Aujourd’hui en effet, une jeune génération se construit avec cet héritage, par exemple celui des films des années 1970. Par ailleurs, les nouvelles technologies ont joué un rôle quant à la notion de photographie que l’on connaissait il y a quinze ans.
Comment choisissez-vous les artistes invités ? Et en quoi cette biennale s’inscrit-elle dans votre pratique curatoriale ?
Les artistes appartiendront tous à ce monde africain dont je vous parlais, qu’ils aient la nationalité finlandaise ou sud-africaine. Comme tous les projets que je mène, cette Biennale est un défi en termes de territoire, de finances, de choix des artistes… Je réfléchis à associer la photographie et le textile, non par rapport au produit final, mais du point de vue du processus d’élaboration et de la «révélation». Aboubakar Fofana, qui est un maître de l’indigo au Mali, fait des choses semblables à ce qui se passe en photographie (l’indigo est une plante qui est verte quand on la frotte sur la peau et qui devient bleue en s’oxydant). Je vais tenter de le mettre en conversation avec un photographe nigérian installé à Berlin, Akinbode Akinbiyi.
Vous parlez aussi d’un focus sur le fleuve Niger ?
Je donne l’exemple du Niger, mais cela pourrait aussi être le Nil ou un autre fleuve. Cela rejoint le courant de conscience : le fleuve comme image d’un flux qui traverse différents états.
Vous est-il facile de travailler au Mali ?
Je suis très heureux que l’état malien ait décidé de soutenir le projet, donc je ne veux pas me plaindre. L’Institut français nous aide aussi. Mais rien n’est jamais facile, et il n’est pas plus difficile de travailler là que de faire une exposition aux Pays-Bas.
Avez-vous déjà choisi les lieux et la structure des Rencontres ?
Il est encore trop tôt pour en parler précisément. L’un des bâtiments principaux sera la Maison de la photographie africaine, qui disposera d’un nouvel espace, en cours de construction. Nous envisageons aussi différents musées. Mais je veux surtout que nous nous engagions avec les familles, chez l’habitant : nous étudions ce qu’il sera possible de faire.