Le Centre Pompidou avait déjà travaillé sur un projet d’implantation en Chine qui n’avait pas abouti. Comment avez-vous procédé cette fois-ci ?
Il y a eu beaucoup de rencontres et de dialogue. J’ai commencé par échanger avec diverses autorités chinoises. Nous hésitions entre Pékin et Shanghai. On me disait que Pékin est la capitale, est central, que les artistes y sont peut-être un peu plus présents, mais qu’à Shanghai, c’est plus facile. On m’assurait que pour faire quelque chose en Chine, il fallait non seulement connaître le pays, mais aussi y être connu. C’est comme cela que j’y ai multiplié les voyages, avec Laurent Fabius, François Hollande, Emmanuel Macron, Édouard Philippe… J’étais de toutes les délégations, mais je ne suivais pas toujours le parcours officiel, j’allais rencontrer des directeurs de musée, voir des galeries privées, des artistes, de manière à m’imprégner le mieux possible de ce que nous pouvions échanger avec la Chine dans le domaine de l’art. Nous
la Chine a de l’avenir, y compris dans le domaine artistique, et l’on ne comprend jamais aussi bien une autre scène que lorsque l’on s’y installe.
avons eu ensuite une proposition de la zone de West Bund, un quartier où les responsables de la municipalité de Shanghai ont voulu réaliser des logements, des sièges d’entreprises de haute technologie et ce que l’on appelle un « corridor culturel », avec plusieurs musées, des salles de concert et une foire d’art internationale. Nous avons aussi reçu des offres de Pékin. Mais nous nous sommes engagés dans ce dialogue avec Shanghai, avec le district, le maire du district et cette société d’aménagement du West Bund qui est en charge de piloter la zone. Le dialogue était très intéressant, parce que nous sommes différents – cette société n’avait pas d’expérience muséale –, mais il était aussi passionnant de voir comment nous pouvions progressivement nous comprendre pour arriver à nous entendre sur les projets à faire ou à ne pas faire. L’un de mes plus grands motifs de satisfaction, c’est de voir comment aujourd’hui les relations sont devenues fluides.
Pourtant, le contexte chinois est compliqué aujourd’hui, avec une montée de la censure. Est-ce difficile de lancer un projet culturel dans ce pays ?
De ce point de vue, c’est plus compliqué qu’en France. Il y a une question préalable : travaille-t-on en Chine ou pas ? Si on y va, c’est pour y faire des choses intéressantes, pour conduire un véritable échange culturel. Je suis persuadé que quoi que l’on puisse dire ou penser du gouvernement chinois, un projet d’échanges culturels tel que nous l’avons conçu, c’est-à-dire un dialogue en profondeur pour confronter les cultures orientale et occidentale, la modernité à la française et l’état des lieux de la création en Chine, est très utile et enrichissant. Dans ces conditions, je suis prêt à discuter avec l’administration du pays, à l’entendre demander pour-quoi présenter telle ou telle œuvre, je m’efforce de lui expliquer. Si j’ai le sentiment que telle pièce n’est pas souhaitée, je vais essayer de démontrer qu’elle est très importante pour mon exposition. Pour le moment, nous arrivons à des résultats.
Il n’y a donc eu que peu d’œuvres refusées dans les deux expositions qui vont être présentées pour l’ouverture ?
Exactement. Et l’échange a été essentiel et productif. S’il n’y avait plus de possibilité d’échange, et si nous étions dans une situation où les expositions seraient sabrées, nous arrêterions.
Cette implantation en Chine s’accompagne d’une certaine réciprocité, puisque vous vous engagez à accueillir en France des artistes chinois.
Avec la Chine, nous avons encore davantage mis l’accent sur le partenariat. Avec Malaga ou Bruxelles, les échanges se font plus naturellement. Ici, il y a vraiment la question de la rencontre de deux scènes artistiques, de deux façons de peindre le monde. La Chine a de l’avenir, y compris dans le domaine artistique, et on ne comprend jamais aussi bien une autre scène que lorsque l’on s’y installe. Je ne voudrais surtout pas que l’on se mette dans la situation que l’on peut évoquer parfois quand on entend que le musée d’Art moderne dans les années 1920 en France est passé à côté de grands artistes puis de grands peintres américains ou allemands. Je voudrais véritablement que là où l’on sent qu’il se passe quelque chose, comme en Asie, nous soyons présents avec l’engagement le plus total possible.
Des conservateurs du Centre Pompidou effectueront-ils des séjours à Shanghai ?
Une de nos conservatrices, Marcella Lista, y a déjà passé plusieurs semaines. Et nous avons accueilli à Paris un conservateur chinois. Nous en aurons bientôt un autre. C’est essentiel d’avoir ces deux situations.
Le Centre Pompidou de Shanghai fait partie d’un ensemble, avec des implantations en Espagne et en Belgique. Le contrat de celui de Malaga a été renouvelé pour cinq ans. Quel bilan tirez-vous de ce projet andalou ?
C’était un «laboratoire». Il s’est fait avant que je n’arrive à la tête du Centre Pompidou. Je l’ai observé d’abord avec un peu de perplexité, en me demandant : « pourquoi Malaga ? » Je me suis rendu compte que c’était remarquablement intéressant parce que nous avions des relations de confiance avec cette municipalité, parce qu’il est à une bonne échelle et que nous pouvions y construire un projet inédit, même si je n’étais pas tout à fait sûr que tous, au Centre, en comprenaient, à son ouverture, les tenants et les
Nous n’installons pas des annexes, mais construisons des projets avec un partenaire. ce ne sont pas des filiales.
aboutissants. Le bilan que j’en fais aujourd’hui est très positif en ce sens que nous y avons une fréquentation tout à fait satisfaisante, bien structurée, avec 60% d’Andalous et 40% de touristes. Le pari de la ville est gagné. Désormais, les gens s’arrêtent à Malaga, vont dans les hôtels de la cité parce qu’il y a des musées. Pour moi, l’un des signes les plus spectaculaires a été de constater que la fréquentation du Musée Picasso Malaga avait doublé depuis que le Centre Pompidou s’était installé dans la ville ! Mais Malaga était pour moi un point de départ, non un point d’arrivée.
Et Bruxelles ?
Nous y avons fait des choses très singulières. Nous avons été portés à la fois par le lieu, l’espace, le matériel – un ancien garage avec encore de la graisse à l’intérieur – et le partenaire qui voulait proposer en même temps une forme de lieu festif et populaire. Les conservateurs ont répondu. Le Centre Pompidou a prouvé qu’il savait aussi faire ce type de projet. À Malaga, nous avons voulu proposer un « petit » Centre Pompidou ; à Bruxelles, le Centre Pompidou se réinvente et, en Chine, il faut encore réaliser quelque chose de différent. Nous essayons de varier les modèles, de les adapter au contexte local. Nous n’installons pas des annexes, mais construisons des projets avec un partenaire. Ce ne sont pas des filiales.
Le Centre Pompidou est aussi présent à l’étranger avec des expositions sur mesure qui circulent…
Nous proposons en effet à des partenaires des expositions « clés en main », qui sont pour nous des ressources non négligeables pour notre équilibre financier. Nous avons toute une gamme, des expositions de prestige comme celles que nous allons montrer en Australie ou au Japon, avec Matisse et Picasso, jusqu’à celles plus ciblées comme « Braque » à Hambourg. Nous fournissons aussi six expositions à la Caixa, avec qui nous partageons une dimension de démocratisation importante pour nous.
Quel budget représentent tous ces projets internationaux ?
Globalement, environ 17 % des recettes propres hors investissement (6,5 millions d’euros en 2018). Nous lançons aussi une activité d’ingénierie et de conseil, que nous avons commencé à proposer au Maroc. Il est important pour nous de développer ces ressources propres que sont la billetterie, le mécénat – ce qui n’est pas toujours facile – et ces projets internationaux.
Avez-vous d’autres projets d’implantation ?
Oui, nous sommes très sollicités. C’est vrai aussi sur le territoire national où nous multiplions les projets avec les collectivités territoriales.