Pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir une galerie à Paris ?
Comme beaucoup de gens, j’aime Paris. J’ai déjà une galerie à Londres qui marche et nos affaires en Europe sont en pleine croissance. J’ai senti que je devais avoir un espace supplémentaire en Europe. La perspective du Brexit a accéléré ces réflexions : ma galerie à Londres deviendra britannique, et non plus européenne. J’ai regardé le paysage européen. J’adore l’Allemagne, d’où je viens, mais le marché de l’art y est décentralisé, entre Munich, Hambourg, Cologne, etc. Je n’aime pas Bruxelles autant [que la capitale française]. Paris est apparu comme un choix parfait. Par la suite, cet espace m’a été proposé. Au début de ma carrière, venir à Paris dans la galerie d’Yvon Lambert était un temps fort pour moi ! Il reflétait aussi la beauté de ce quartier, le Marais. Tout cela m’a décidé.
Pourquoi choisir le Marais et pas la proximité des grandes maisons anglo-saxonnes comme Gagosian pour son espace parisien ?
Ah, ah ! Je respecte mes collègues mais je suis peut-être plus heureux en m’éloignant d’eux. J’adore mes clients, ceux qui m’achètent de l’art, mais mes vrais clients sont les artistes. Je voulais un lieu à la hauteur pour eux, qui les inspirent pour créer les meilleures œuvres possible. Ce lieu non seulement peut jouer ce rôle, mais l’a déjà prouvé dans le passé [avec Yvon Lambert puis VnH, ndlr]. C’est un espace avec une âme.
Avez-vous beaucoup de clients à Paris ou en France ?
Effectivement, nous en avons. Mais quand vous vous installez dans une métropole, vous pensez aussi à dépasser le public local. Nous avons un groupe solide de collectionneurs en Italie, en Belgique, en Suisse… Je souhaite vraiment que notre espace parisien devienne notre quartier général européen.
Plus que Londres ?
Il faut faire un distinguo. À Londres, le marché de l’art reste plus grand qu’en France, notamment à cause des ventes importantes qu’y organisent Christie’s et Sotheby’s. Là-bas, je sais que je touche un public mondial. Nous y avons actuellement une exposition de Nate Lowman [jusqu’au 9 novembre] et parmi nos ventes seulement une ou deux œuvres ont été cédées à des amateurs britanniques… Ce qui ne nous incite pas forcément à travailler davantage le marché européen, ses grandes fondations, ses collectionneurs et ses musées, une activité que pourra développer cet espace parisien.
Pourquoi ouvrir avec Raymond Pettibon ?
C’est une de mes artistes préférés et il a un impact mondial. Il dispose à Paris d’une base d’admirateurs particulièrement forte. La raison ? Sa dernière exposition à Paris, organisée [à la galerie 14/16 Verneuil], par Philippe Ségalot il y a 23 ans avant d’aller chez Christie’s, avait permis de vendre des œuvres à de nombreux collectionneurs français. L’éventail de ses prix, d’environ 15 000 dollars à 1 million de dollars, permet aussi de s’adresser à de nombreux types de collectionneurs, plutôt que d’arriver à Paris avec des œuvres aux tarifs dissuasifs.
Par le passé, vous avez représenté des artistes de la scène française, tels Yan Pei-Ming ou Adel Abdessemed – ce dernier a d’ailleurs fait l’objet de la dernière exposition d’Yvon Lambert en ces murs. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Allez-vous regarder à nouveau du côté des créateurs français ?
Absolument ! Quand nous sommes arrivés à Londres il y a sept ans, nous n’avions pas d’artistes anglais dans notre écurie. Nous avons ensuite commencé à travailler avec Oscar Murillo, Bridget Riley, Rose Riley… Quand vous vous installez, vous découvrez la scène locale et vous vous y intéressez de plus près.
Que pensez-vous de la scène artistique parisienne dans l’ensemble ?
La FIAC est notre baromètre principal. Nous y participons depuis maintenant près de dix ans. Certaines années, les résultats sont très bons, d’autres fois, médiocres. C’est assez difficile à prévoir, contrairement à Frieze ou Art Basel. S’il n’y a pas la même force que dans d’autres foires, la FIAC reste ma préférée, ne serait-ce que pour son cadre, le Grand Palais. Nous adorons y venir. Je sais aussi qu’il y a des collections formidables en France, dont deux majeures, Pinault Collection et la Fondation Louis Vuitton. J’étais au dîner organisé par Jérôme et Emmanuelle de Noirmont pour Jeff Koons [pour l’installation de son Bouquet of Tulips dans le jardin derrière le Petit palais, ndlr] et j’y ai rencontré au moins dix collectionneurs que je n’avais jamais vus ! Il y a un vrai potentiel.
Proposerez-vous à Paris une programmation distincte de celle de vos espaces de New York ou Londres ?
Certains artistes dont je m’occupais à New York étaient déjà représentés à Londres, comme Marlene Dumas, qui n’a pas été montrée à Paris depuis longtemps. Peut-être aimera-t-elle mon espace et voudra-t-elle y exposer ? Il y a des opportunités ici qu’il n’y a pas à Londres. Cet espace parisien me permettra peut-être d’attirer des artistes dans mon réseau de galeries, quand bien même ils travaillent déjà avec d’autres enseignes ailleurs dans le monde. C’est très excitant.
Est-ce si important pour vous de disposer d’espaces physiques pour toucher des marchés locaux, alors que vous participez à de nombreuses foires – seize en 2019 ?
Totalement ! Encore une fois, mes premiers clients sont les artistes et les Estates, qui ont besoin de lieux où montrer leurs œuvres. Une galerie repose sur quatre piliers : les artistes, les expositions, les espaces et les équipes. Quand j’ai commencé à Soho il y a 25 ans, on attendait le client dans la galerie. Aujourd’hui, ils entrent en contact avec nous surtout de manière électronique. Mais voir les œuvres en live reste primordial. La partie la plus visible du business model est restée la même depuis mes débuts : les artistes ont besoin de beaux espaces avec de bons éclairages, dans un riche environnement culturel où peut s’engager un dialogue avec le public. Quant aux clients, ils peuvent habiter Chicago ou Singapour. Le back-end a terriblement changé. Mais la galerie, elle, doit agir comme un pôle culturel, que ce soit à Paris, Londres, New York ou Hongkong.
L’an dernier, vous avez jeté un pavé dans la mare en déclarant être prêt à payer plus cher votre stand sur les foires pour permettre aux galeries de taille intermédiaire d’avoir des tarifs moins onéreux. Pensez-vous avoir été écouté ?
Je pense que oui. J’ai tenu ces propos dans le cadre d’un symposium du New York Times, je n’étais pas en campagne ! J’en ai parlé à Marc Spiegler [directeur d’Art Basel] et des mesures dans ce sens ont été mises en place.
Le rôle des méga galeries comme la vôtre a-t-il changé ces dernières années, en termes d’aide à la recherche par exemple ?
Absolument. Si vous m’aviez dit qu’un jour plus de 200 personnes travailleraient dans mes galeries, je ne l’aurais pas cru. Ces dix dernières années, les galeries offrent de plus en plus de services aux artistes et aux Estates, rivalisant avec ce que font les institutions. Mais cela a créé une distorsion par rapport aux galeries de taille moyenne, ce qui n’est pas sain. Le marché de l’art est juste une partie de l’industrie culturelle…
De plus en plus de méga galeries s’intéressent aux Estates, Paul Klee ou Albers chez vous par exemple…
Les galeries ont toujours regardé les successions des artistes. Auparavant, il était naturel de s’occuper de la succession d’un artiste de la galerie quand il décédait. C’est différent de travailler avec un artiste de son vivant, avec son énergie, et après sa mort, où il faut établir des stratégies. Aujourd’hui, les Estates et les avocats des trusts recherchent ceux qui font le meilleur travail dans le management de l’Estate. La tendance est vraiment dans cette réflexion sur la réévaluation du travail de l’artiste.
Cela vous conduit néanmoins à travailler dans le domaine de l’art moderne, qui est un autre marché…
En effet. Ainsi, la famille de Paul Klee avait des agents mais pas de présence internationale en galerie. Ils nous ont approché. Pour nous, il était intéressant de s’occuper d’une production qui s’est terminée dans les années 1940. Il faut penser différemment en termes de collectionneurs et d’éditions, c’est un travail radicalement différent de ce que nous faisons d’habitude, et qui prend aussi son sens à Paris qui a été le centre de l’art moderne.
Qu’allez-vous montrer à la FIAC ?
Cette année, nous changeons d’approche et montrons un focus sur trois générations différentes avec des œuvres nouvelles et des médiums divers : la photographie avec Wolfgang Tillmans, la peinture avec Lucas Arruda, et la sculpture avec Sherrie Levine.
« Raymond Pettibon », du 16 octobre au 23 novembre, David Zwirner Paris, 108, rue Vieille-du-Temple, 75004 Paris.