Sur son site Internet, Valie Export se présente comme « l’une des plus importantes pionnières des médias conceptuels, de la performance et de l’art cinématographique ». Dans la mémoire collective, il en va autrement. Valie Export passe plutôt pour être la figure tutélaire d’un féminisme radical, né dans les années 1960-1970. Contemporaine de Yoko Ono et Martha Rosler, l’artiste autrichienne est associée à des actions retentissantes qui questionnent les représentations stéréotypées du corps féminin et rendent l’aliénation visible. En mettant simultanément en lumière les deux versants de l’œuvre, le conceptuel et le militant, le Pavillon populaire de Montpellier risque donc d’en décevoir certains, avides de « gender battles », mais d’en surprendre agréablement d’autres, qui découvriront la puissance critique et avant-gardiste d’une artiste trop souvent réduite à ses performances les plus agressives.
Pour les visiteurs en quête de fait d’armes féministes, les actions les plus fracassantes de Valie Export sont présentes, mais a minima. On retrouve l’affiche d’Aktionshose : Genitalpanik (Action/pantalon : panique génitale, 1968), sa performance la plus célèbre, réalisée dans un cinéma de Munich. Elle apparaît, mitraillette en main, vêtue d’un jean découpé à l’entrejambe qui dévoile son triangle pubien. Ce que nous voyons habituellement à l’écran – la violence et le sexe –, Valie Export le présente en direct, sans filtre. L’exposition permet aussi de revisionner la vidéo de Tapp und TastKino (Cinéma du toucher, 1968). On y voit l’artiste arpenter les rues en portant sur son torse nu une boîte noire perforée. Les passants sont invités à introduire leurs mains et palper ses seins. Sous des airs potaches, Tapp und TastKino marque en réalité le commencement d’un travail au long cours de Valie Export autour de la notion d’Expanded camera, qui constitue le cœur même de l’exposition. « L’Expanded camera est une manière d’explorer la photo, le cinéma ou la vidéo dans ses composantes matérielles, explique la commissaire, Brigitte Huck. La dimension féministe des œuvres chez elle s’inscrit souvent dans une réflexion plus large sur le statut et le devenir des images. Avec Tapp und TastKino, la boîte noire est le cinéma et la peau est l’écran de projection. Au lieu de regarder, le spectateur est invité à toucher ».
Le corps du public, le corps de l’artiste sont, d’une certaine façon, les vedettes en creux de cet accrochage qui réunit une quarantaine d’œuvres ainsi que de précieuses archives, dévoilées pour la première fois. Dès le début du parcours, le corps du public met en branle l’installation Ping-Pong (1968), qui a pour sous-titre « un film à jouer – un film de fiction ». En se saisissant d’une raquette posée sur une table de ping-pong, le visiteur peut jouer avec un moniteur traversé de points qui apparaissent et disparaissent. Il devient, ce faisant, acteur de l’œuvre. Plus loin, il peut évoluer dans l’espace de l’installation Fragemente der bilder einer Berührung (Fragments des images d’un contact, 1994) qui met en scène 18 cylindres de verre (ils étaient 24 à l’origine) remplis d’eau, de lait et d’huile dans lesquels viennent plonger, sur un rythme dissocié, 18 ampoules lumineuses. L’œuvre, fascinante, recomposait, lors de sa création, les 24 images par seconde du cinéma (18 pour une caméra super 8). Le cinéma se vit et s’éprouve ici, autant qu’il se contemple.
Le corps de l’artiste est, lui aussi, le compas de nombre de dispositifs. Adjungierte Dislokationen [Dislocations adjointes, 1973] fait apparaître l’artiste lestée de deux prothèses. Deux caméras sont fixées sur sa poitrine et sur son dos. Suivant qu’elle se penche vers l’avant ou l’arrière, elle enregistre simultanément des images des deux directions opposées. Avec Leiter III (Echelle III, 1972) ou Zug II (Train II, même année), elle se déplace légèrement et multiplie les prises de vues. « En se décalant par rapport au motif, elle crée plusieurs perspectives et les superpose, précise Brigitte Huck. Elle réfute ainsi la perspective unique, héritée de la Renaissance, qui figure pour elle une perspective masculine ». Au travers d’une démarche rigoureusement conceptuelle, Valie Export revient inlassablement sur le motif : chaque image est une construction et il incombe à l’artiste de mettre à mal tous les déterminismes du regard.
« VALIE EXPORT. Expanded Arts », jusqu’au 12 janvier 2020, Pavillon Populaire, esplanade Charles-de-Gaulle,34000 Montpellier.