« Au début des années 1980, alors que le cinéma expérimental n'en était encore qu’à ses balbutiements au Royaume-Uni, Derek Jarman a été l’un des plus grands défenseurs de ce médium », affirme Seán Kissane, commissaire de l’exposition « Derek Jarman: Protest! » qui a ouvert vendredi au Irish Museum of Modern Art, à Dublin. L’exposition présente des films cultes et parfois controversés réalisés par Derek Jarman, tels que Sebastiane (1976), un portrait homoérotique de la vie et du martyre de saint Sébastien, ou encore Jubilee (1978), centré sur la scène punk britannique. Mais le parcours comprend aussi de rares œuvres réalisées sur d’autres supports.
Vingt-cinq ans après sa mort, cette première rétrospective majeure de l’œuvre de Derek Jarman s’intéresse également à sa peinture – sa principale activité jusqu’au début des années 1970 –, ses scénographies, son œuvre d’écrivain et son activiste politique, à côté de ses films – depuis les débuts en Super 8 jusqu’à ses œuvres cultes. Organisée en collaboration avec la Manchester Art Gallery, où elle sera présentée l’année prochaine, l’exposition réunit des œuvres des années 1960 aux années 1990, dont beaucoup n’ont jamais été présentées au public. Parmi celles-ci figurent plusieurs des premières peintures de Derek Jarman, réalisées pendant et peu de temps après ses études à la Slade School of Fine Art de Londres, et cataloguées pour la première fois en vue de cette exposition. « Au cours de mes deux années de recherche, j’ai rencontré des amis, des membres de la famille et des collaborateurs de Derek Jarman datant de son passage à la Canford School, au King’s College et à la Slade School of Fine Art, explique Seán Kissane. Plus de 80 œuvres ont ainsi été identifiées ».
Ces tableaux sont des portraits et des compositions abstraites, et trahissent des influences de l’École de Londres, du pop art et de l’art conceptuel. Outre ses peintures, l’exposition propose de reconsidérer son travail dans le domaine de la scénographie. Des carnets de croquis, des photographies et des scripts révèlent les activités de l’artiste en tant que scénographe, d’abord pour l’opéra et le ballet, puis pour des films tels que The Devils, réalisé par Ken Russell en 1971. En 1986, Derek Jarman est diagnostiqué séropositif et il est l’une des premières personnalités à dévoiler publiquement sa maladie. L’exposition met en lumière ce dernier chapitre de sa production artistique, riche en commentaires féroces sur le climat sociopolitique de l’époque, visant à dénoncer une politique gouvernementale apathique et à sensibiliser les gens au sida. Le parcours réunit certaines de ses « peintures slogan » monumentales du début des années 1990, qui contiennent des mots faisant référence à l’hystérie des tabloïds et à la peur du public face au sida. Cette rétrospective arrive au bon moment face à « la montée des gouvernements de droite et au retour d’une législation répressive, estime Seán Kissane. Derek Jarman montre comment l’art peut être utilisé au profit du changement social, offrant un modèle d’engagement politique ».
« Derek Jarman: Protest! », jusqu’au 23 février 2020, Irish Museum of Modern Art, Dublin.