Les musées peuvent être difficiles d’accès pour les visiteurs handicapés, leurs bâtiments étant parfois compliqués à parcourir en fauteuil roulant tandis que leurs expositions sont peu adaptées aux personnes présentant des déficiences sensorielles ou cognitives. Mais plusieurs institutions européennes ont mené des études qui promettent de faire évoluer cette expérience décourageante, en s’appuyant sur l’expertise de personnes qui présentent eux-mêmes divers handicaps.
Grâce à L’Arche et à un projet de recherche de trois ans financé par l’Union européenne, plus de 200 personnes handicapées ont aidé à mettre au point des technologies numériques conçues pour les visiteurs ayant besoin d’assistance. Six musées ont participé à ce programme : la Wallace Collection et le Victoria and Albert Museum de Londres, le Kunsthistorisches Museum de Vienne, les musées Thyssen-Bornemisza et Lázaro Galdiano à Madrid et le Museo de Bellas Artes de Asturias à Oviedo, dans le nord-ouest de l’Espagne. Quatre sociétés spécialisées dans les technologies de pointe, l’Open University et l’Université de Bath ont également apporté leur expertise au projet.
Les résultats ont été présentés récemment au musée Thyssen-Bornemisza : des reliefs tactiles multimédias d’œuvres telles que Le Paysan et le dénicheur (1568) de Pieter Brueghel l’Ancien, de futures applications iOS et Android qui conçoivent des parcours adaptés dans les salles du musée, et un jeu qui invite les utilisateurs à créer leurs propres collages à partir des chefs-d’œuvre de la collection. Tous sont proposés accompagnés des paramètres d’accès personnalisables, y compris des vidéos en langue des signes, des descriptions audio et des textes faciles à lire, testés par les participants atteints de déficiences visuelles et auditives et présentant des difficultés d’apprentissage.
D’autres initiatives ont reflété les intérêts des différents groupes de recherche, telles que des cartes tactiles désormais disponibles au Kunsthistorisches Museum, des cours de dessin pour aveugles et malvoyants à la Wallace Collection et des vidéos d’orientation dans les musées de Madrid, bientôt accessibles sur leurs sites Internet. L’approche « émancipatrice » du projet – éviter de classer les personnes en fonction de leur type de handicap et donner le contrôle aux participants – est elle-même remarquable. Maria, une participante non voyante d’Oviedo, a déclaré que cela n’était « pas seulement une étude », mais aussi l’opportunité de proposer des choses différentes, en introduisant par exemple des ressources numériques auparavant indisponibles dans un musée régional traditionnel. Souad, qui est malentendante, a confié de son côté que la plupart des membres de son groupe londonien n’étaient pas familiers des musées et que leur visite avait été améliorée autant par un personnel sensible aux handicaps que par les nouvelles technologies.
Les coordinateurs de la fédération internationale L’Arche ont publié un manuel et organisé une série d’ateliers pour partager les bonnes pratiques avec les professionnels des musées intéressés à poursuivre des initiatives similaires. Après une série d’ateliers en Slovénie, en Croatie, en Italie et en France, un dernier s’est tenu à Bonn hier. Les lacunes de l’accès au musée ont défrayé la chronique cet été, lorsque Ciara O’Connor, une femme en fauteuil roulant, s’est plainte sur Twitter après avoir été informée par un gardien de l’exposition d’Olafur Eliasson de la Tate Modern à Londres qu’il fallait qu’elle « fasse le tour par le côté », l’installation, un tunnel en miroir, n’étant accessible qu’à pied. Plus tard, la Tate s’est excusée de ce que l’œuvre était « structurellement trop étroite pour être parcourue en toute sécurité avec un fauteuil roulant ».
Les musées perpétuent une « discrimination primaire » en offrant systématiquement aux visiteurs handicapés des « pratiques dégradées », explique Richard Sandell, codirecteur du Research Center for Museums and Galleries de l’Université de Leicester. Malgré les lois anti-discrimination qui exigent que les bâtiments publics soient accessibles aux handicapées, il voit un « fossé entre la mise en conformité minimale et un programme ambitieux qui n’est adopté que lorsque vous impliquez des personnes [handicapées] » dans la planification architecturale et curatoriale. Un tel « engagement de fond » prend du temps, mais il « permet aux musées d’économiser beaucoup d’argent en évitant de faire des erreurs qui doivent par la suite être rectifiées », explique Tony Heaton, sculpteur et utilisateur de fauteuil roulant qui préside Shape Arts, organisme caritatif dirigé par des personnes handicapées. Sandell et Heaton ont apporté leurs conseils pour une nouvelle galerie à la Wellcome Collection de Londres, « Being Human », qu’ils décrivent comme un modèle dans la conception d’expositions inclusives. Dans un « processus de consultation en cours », des commentaires ont été recueillis auprès de sourds, d’handicapés et de personnes souffrant de différents troubles neurologiques pendant la conception de la galerie et après son ouverture, a déclaré une porte-parole. Le design inclusif de la Wellcome Collection est présenté en ligne comme « un moyen d’échanger des connaissances avec nos collègues dans ce domaine », ajoute-t-elle. « De nouvelles expériences, expositions et programmes doivent être réalisés avec et non pour les personnes handicapées, explique Sandell. Ce n’est pas sorcier, mais cela nécessite une autre organisation ».