Organisé quasiment tous les deux ans, ce festival artistique a d’abord pris place à Bruxelles avant d’essaimer rapidement à travers toute la Belgique, ce qui en fait une de ses caractéristiques. Il s’agit d’une manifestation multidisciplinaire, célébrant le patrimoine culturel du pays invité. Le premier de ceux-ci a été l’Italie en 1969 : la manifestation fête donc ses 50 ans cette année. À l’exception de l’Italie, présente une seconde fois en 2003, l’invitation est unique, d’où l’importance de l’événement pour les pays concernés.
Comme son nom l’indique, il s’agissait de mettre en valeur le patrimoine culturel d’un pays européen, afin d’en développer la connaissance à une époque pas si lointaine où les city trips n’existaient pas et où l’Espagne et le Portugal vivaient encore sous des régimes dictatoriaux. L’Union européenne ne comptait alors que six membres. Ses nations fondatrices, et ceux qui ont adhéré par la suite, figurent au nombre des premiers invités, avant une timide ouverture à l’Asie (Japon, 1989) et à l’Amérique latine (Mexique, 1993), puis un recentrage sur l’Europe. Un nouvel élargissement s’est produit en 2009 avec la Chine, à laquelle ont succédé le Brésil, l’Inde, la Turquie et l’Indonésie. Cette année, retour en Europe, avec l’invitation faite à la Roumanie.
Changements de paradigmes
Evénement majeur dans la vie culturelle belge et surtout bruxelloise, Europalia est devenu un rendez-vous incontournable. S’il a été vu pendant longtemps comme une rencontre fixée de longue date avec des voisins dont on pouvait découvrir, sans vraiment quitter son chez-soi, les richesses culturelles avec intérêt, la perception des cultures autres s’est modifiée depuis.
Dirk Vermaelen, son directeur artistique, le confirme : « Aujourd’hui, il serait impossible et même inconcevable d’organiser un festival similaire à ceux d’il y a cinquante ans, ou même d’il y a vingt ans. La vision du monde a changé, le rôle et l’image de l’Europe, celle qu’elle se fait d’elle-même, ne sont plus les mêmes. L’identité culturelle est pensée autrement. »
Différentes approches et interprétations ont vu le jour. Les nouvelles perspectives se veulent d’actualité, actives et durables. D’actualité, parce que la création artistique récente porte, parmi d’autres, sur des questions de migration et de genre. Fondamentalement actives, car le festival a engagé de nouvelles productions, organisé des résidences et des échanges, entre autres autour du patrimoine. Enfin durables, puisqu’il s’agit de poursuivre les collaborations avec des artistes et des institutions au-delà de la durée éphémère du festival, notamment cette année en collaboration avec l’Institut culturel roumain, parte-naire privilégié de cette édition.
Evénement majeur dans la vie culturelle belge et surtout bruxelloise, Europalia est devenu un rendez-vous incontournable.
Brancusi, la sublimation de la forme
L’exposition phare du festival est consacrée à Constantin Brancusi. Il ne s’agit pas d’une rétrospective à proprement parler, comme le Centre Pompidou, à Paris, lui en a organisé une il y a près de vingt-cinq ans déjà. La présentation se veut transversale, à l’image des grandes thématiques qui ont irrigué son œuvre, parfois pendant plus de quarante ans. Seront donc mises en perspective des séries telles que les têtes d’enfants, les oiseaux, les baisers, qui toutes tendent vers une épuration des formes qui mènera Brancusi aux frontières de l’abstraction. Une place importante est dévolue à son atelier, véritable laboratoire et lieu d’expérimentation de la disposition de ses œuvres. L’évolution de son travail va de pair avec la maîtrise et le contrôle absolu qu’il opère sur celui-ci, notamment par le biais de la photographie, qu’il fut l’un des premiers à utiliser en tant que sculpteur. Le commissariat de l’exposition a été confié à Doïna Lemny, spécialiste de l’œuvre de Brancusi et ancienne attachée de conservation au Centre Pompidou.
Des Daces à la Roumanie contemporaine
Outre Brancusi, le palais des Beaux-Arts accueille l’exposition « Perspectives », qui brasse la création plastique en Roumanie, de la naissance de l’identité roumaine en 1859 à la chute du rideau de fer et du régime de Nicolae Ceausescu en 1989. De la tradition moderne à l’art le plus actuel, en passant par l’avant-garde historique, la manifestation explore les problématiques de représentation, les questions identitaires ou la place des artistes et de la création lors des périodes de tension politique, comme pendant le régime communiste. Parmi les œuvres présentées, citons celles de Victor Brauner, Paul Neagu, Marcel Janco, Eugène Ionesco, Isidore Isou, Ion Grigorescu, Geta Bratescu, Dan Perjovschi ou Mircea Cantor.
L’autre exposition majeure du festival, « Dacia Felix. Grandeurs de la Roumanie antique », se tient au Gallo-Romeins Museum de Tongres. Elle met en exergue des pièces rarissimes datées de 600 av. J.-C. à l’an 270 de notre ère, provenant d’une région où Grecs, Romains, Celtes et Scythes ont croisé, combattu ou échangé avec les populations locales qu’étaient les Daces et les Gètes. Chacune de ces six cultures est passée en revue, dans une scénographie se voulant immersive.
Si les expositions constituent la partie la plus visible de l’offre, les arts de la scène, le cinéma et sur-tout la musique figurent également au copieux programme du festival. Son ambition est de donner une image plus appropriée et nuancée de la Roumanie actuelle et d’aller au-delà de certains préjugés qui grèvent notre connaissance de la culture du pays.
« Europalia Romania. Arts Festival », 2 octobre 2019-2 février 2020.
« Brancusi. La sublimation de la forme » et « Perspectives », 2 octobre 2019 - 12 janvier 2020, Bozar, rue Ravenstein 23, 1000 Bruxelles.
« Dacia Felix. Grandeurs de la Roumanie antique »,19 octobre 2019 - 26 avril 2020, Gallo-Romeins Museum, Kielenstraat 15, 3700 Tongres.