Sise dans un ancien bâtiment industriel bordant un canal, non loin du centre historique, la Fondation Herbert a ouvert ses portes en 2013. Elle est née de la volonté du couple de collectionneurs gantois Annick et Anton Herbert de pérenniser leur collection, d’en garder la maîtrise totale et de garantir son indépendance à tous les niveaux. Malgré quelques tentatives, elle n’a jamais été léguée ou vendue à un musée ou déposée dans une institution similaire. En revanche, elle a été exposée, dans des configurations diverses, par plusieurs lieux d’art : « Répertoire » en 1985 (Van Abbemuseum, Eindhoven), « Programme » en 2000 (Casino Luxembourg) et « Inventaire » en 2006 (Museu d’Art Contemporani de Barcelona et Kunsthaus Graz). Ces expositions furent décisives, non seulement parce qu’il s’agissait des rares présentations publiques de la collection entamée au début des années 1970, mais surtout parce qu’elles auront permis au couple de valider leur démarche et d’anticiper le processus de monstration. Elles sont en quelque sort les prémices de l’actuelle fondation.
L’objectif était et reste d’affirmer le sens de leurs acquisitions, dont le maître-mot a toujours été la qualité plutôt que la quantité. Les œuvres rassemblées sont d’envergure muséale et de portée historique, c’est-à-dire contemporaines des mouvements auxquels leurs artistes sont associés. Il s’agit des arts conceptuel et minimal dans un premier temps, et d’une partie de leur héritage dans un second temps, d’approche sculpturale référentielle d’une part (Didier Vermeiren, Thomas Schütte, Jan Vercruysse), plus politique et contestataire de l’autre (Mike Kelley, Martin Kippenberger, Franz West et Heimo Zobernig).
Les temporalités
La collection est strictement inscrite dans le temps, délimitée par deux dates qui ont marqué l’histoire de l’Europe dans la seconde moitié du XXe siècle : 1968 avec son révolutionnaire et utopique mois de mai parisien, et 1989 avec la chute du Mur de Berlin. La première correspond à l’émergence des dernières grandes avant-gardes historiques (art minimal, art conceptuel, arte povera, land art, body art), la seconde à la fin de la guerre froide, à l’indépendance des pays de l’ancienne Europe de l’Est, au bouleversement d’un certain « équilibre » géostratégique et au début de la mondialisation. Le grand écart esthétique et visuel semble évident, du moins en ce qui concerne Kelley, Kippenberger, West et Zobernig, même si les collectionneurs en voient d’abord la portée intellectuelle. Leurs discussions avec les artistes et les directeurs de galerie de l’époque (MTL à Bruxelles, Konrad Fischer à Düsseldorf, Art & Project à Amsterdam, Peter Pakesch à Vienne ou Gisela Capitain à Cologne) ont été d’une importance capitale pour conceptualiser leur approche.
l’objectif était et reste d’afirmer le sens de leurs acquisitions, dont le maître-mot a toujours été la qualité plutôt que la quantité. les œuvres rassemblées sont d’envergure muséale et de portée historique.
La Fondation propose régulièrement des conférences ou des projections de films animées par des personnalités qualifiées, mais elle se démarque surtout par sa collecte d’archives (cartons d’invitation, tracts, livres d’artistes, catalogues, éditions rares) et leur valorisation. Ce fonds rend compte, en la contextualisant au mieux, de l’effervescence intellectuelle et artistique entourant l’éclosion et la diffusion de ces avant-gardes. Ses principaux protagonistes se nomment Carl Andre, Art & Language, Robert Barry, Marcel Broodthaers, Stanley Brouwn, Daniel Buren, Hanne Darboven, Jan Dibbets, Luciano Fabro, Dan Graham, Donald Judd, On Kawara, Sol LeWitt, Mario Merz, Bruce Nauman et Niele Toroni. Tous sont représentés par de remar-quables et conséquents ensembles, tant au niveau des œuvres que des archives, qui pourraient faire pâlir bon nombre de collections publiques. Certains sont actuel-lement exposés dans « Distance Extended/1979-1997. Part I ». Seul bémol, le lieu n’est accessible que le premier dimanche du mois ou sur rendez-vous
Les expositions
Dans un premier temps d’activité, de 2013 à 2016, la Fondation s’est focalisée sur six expositions thématiques de relativement courte durée, afin d’explorer les différentes facettes de la collection. Ces manifestations ont parfois été élargies à des œuvres provenant d’autres collections privées ou d’institutions. Elles ont également pu être confiées à des commissaires extérieurs, comme Lynda Morris, en 2014, avec « Genuine Conceptualism ». L’année suivante, le focus a été mis sur l’important ensemble de Marcel Broodthaers conservé par la Fondation. Depuis 2016, un nouveau format est apparu, sous la forme de longs cycles étalés sur plusieurs années et divisés en volets annuels. Il s’agit « de présentations qui se fondent sur l’individualité de chaque artiste et sur la façon dont leur œuvre est intégrée à la collection ». Leur titre générique est emprunté à l’œuvre d’un artiste, en l’occurrence Dan Graham pour « Time Extended/1964-1978 ». Les trois parties de ce cycle, centré sur les pièces qui forment le noyau historique de la collection, sont articulées à partir de sélections tournantes d’œuvres et de documents, afin d’en aborder tous les aspects. La recherche scientifique constitue une des ambitions des initiateurs du projet, et leur vaste fonds d’archives de premier ordre y contribue largement. Selon Anton Herbert, « les œuvres acquises agissent, pour ainsi dire, comme des livres qui nous entourent et qui nous indiquent le chemin vers une meilleure compréhension de la génération à laquelle nous appartenons ». Il conclut : « Nous ne collectionnons pas des œuvres d’art, mais une façon de penser. »
« Distance Extended / 1979-1997. Part I : Works and Documents from Herbert Foundation », 20 octobre 2019-7 juin 2020, Fondation Herbert, 627 A Coupure Links, 9800 Gand, Belgique.