C’est dans une atmosphère à la lumière tamisée, absorbée par une scénographie où domine la couleur grise des murs et du sol que se développe l’exposition que l’historien de l’art Gabriele Guercio et le directeur du Madre Andrea Viliani consacrent à Marcello Rumma. Cette mise en espace pour le moins très assumée plonge le visiteur dans la pénombre, dans une atmosphère quasiment de deuil qui éteint les œuvres et leur fait perdre de leur éclat, mais aussi de leur visibilité, une manière selon les commissaires de renforcer le mystère de la disparition d’un jeune homme mort à l’âge de 28 ans et de parler de l’incomplétude de sa vie. Intellectuel, éditeur, collectionneur, initiateur de projets d’exposition, Marcello Rumma (1942-1970) fut une figure centrale de la scène littéraire et artistique italienne des années 1960. L’exposition « I sei anni di Marcello Rumma 1965-1970 » (Les six années de Marcello Rumma 1965-1970) retrace sa brève, mais fulgurante présence, sans tomber dans l’écueil de l’hagiographie. Sur les deux étages en entier du Madre, sont présentés – à partir d’un parcours chronologique séquencé de documents d’archives rares (lettres, photographies, livres…) et d’œuvres pour la plupart issues de la collection de la galeriste Lia Rumma, son épouse, et parfois complétées de prêts provenant d’institutions italiennes et étrangères – ce qu’ont été les rencontres, les choix et les engagements de Marcello Rumma.
Très jeune, il montre un intérêt pour la littérature et l’art, créant en 1965 la revue d’art et de poésie Il Ponte, réunissant des critiques et poètes italiens (Edoardo Sanguineti) et français (Alain Jouffroy, José Pierre). Mais aussi soutenant le travail de galeristes (Lucio Amelio, Fabio Sargentini…), collectionnant les meilleurs artistes de sa génération parmi lesquels Mario Ceroli, Piero Gilardi, Pino Pascali, Mario Schifano, Paolo Scheggi, qu’il rencontre, dont il fait des visites d’atelier et achète leur travail. Les premières salles de l’exposition accueillent le visiteur par ces choix artistiques comme une déclaration d’intention. Mais l’activité de Marcello Rumma est surtout connue pour trois expositions (festivals) : « Rassegna d’arte internazionale » qu’il organise dans les arsenaux de la petite ville d’Amalfi, sur la côte amalfitaine, entre 1966 et 1968. Les deux premières éditions sont essentiellement consacrées à la peinture. La première, « Aspetti del « ritorno alle cose stesse » », confiée au critique Renato Barilli, propose un état des lieux de la peinture en Italie (Tano Festa, Giosetta Fioroni, Laura Grisi…) ; la seconde, « L’impatto percettivo » (dont le commissariat est assuré par Alberto Boatto et Filiberto Menna), s’ouvre à des enjeux picturaux plus internationaux (Roy Lichtenstein, Victor Vasarely, Frank Stella…). Mais l’histoire de l’art a surtout retenu la dernière, « Arte Povera più Azioni Povere », que Marcello Rumma confie alors au jeune critique d’art Germano Celant et qui réunit les protagonistes de cette toute aussi jeune aventure artistique, parmi lesquels Alighiero Boetti, Luciano Fabro, Mario et Marisa Merz, Pino Pascali, Michelangelo Pistoletto… Ces trois jours d’expositions, d’actions dans la ville ou sur la plage d’Amalfi, et de rencontres-débats au début du mois d’octobre 1968, seront l’occasion d'affirmer cette effervescence artistique et intellectuelle italienne qui sera accompagnée, à l’invitation de l’artiste Piero Gilardi – qui jouera un rôle important dans le champ de la critique d’art de l’époque – de la présence de jeunes artistes étrangers (Jan Dibbets, Richard Long, Ger van Elk) alors inconnus dans la Péninsule, mais dont les préoccupations croisent celles de leurs homologues italiens.
L’exposition de Naples ne propose pas une exacte reconstitution de ces trois moments, mais, à travers des documents d’archives et un choix d’œuvres, elle donne à voir et à comprendre les enjeux de ces trois temps artistiques qui ont eu lieu hors des institutions muséales italiennes car peu enclines à montrer la création de leur époque. Homme indépendant du système de l’art, Marcello Rumma fonde aussi sa propre maison d’édition (Rumma Editore). Il publie non seulement les catalogues des expositions d’Amalfi, mais aussi des textes de littérature (Jean Paulhan) et d’art (Duchamp, Pistoletto). Aussi, attend-on avec impatience la parution du catalogue de cette exposition qui lui est consacrée afin de combler un vide éditorial sur ce protagoniste majeur de l’art italien des années 1960.
« I sei anni di Marcello Rumma », jusqu’au 13 avril 2020, Il Madre - Museo d’arte contemporanea Donnaregina, Naples, Italie.