Vienne lui doit quelques-uns de ses bâtiments emblématiques, ses entrées de métro et peut-être son image de capitale moderne. Pour sa saison viennoise, la Cité de l’architecture et du patrimoine invite à entrer dans l’œuvre visionnaire de cet acteur majeur de la Sécession viennoise, difficile à saisir en raison de ses positions en constante évolution sur l’architecture. Car la vie comme l’œuvre d’Otto Wagner suivent les soubresauts d’une époque qui change à toute vitesse. Né en 1841 dans une Autriche impériale au faîte de sa puissance, il meurt en 1918, à l’aube du nouveau siècle, après avoir influencé des architectes devenus à leur tour des hérauts de la modernité. Les commissaires Hervé Doucet, Emilie Regnault et Cléa Calderoni, en partenariat avec Andreas Nierhaus et Eva-Maria Orosz du Wien Museum, ont composé l’exposition « Otto Wagner. Maître de l’Art nouveau viennois » comme un portrait, avec force détails biographiques, pour retracer l’évolution d’une personnalité complexe à travers près de 500 pièces dont de nombreux dessins.
Le parcours commence dans le faste et l’ornementation. Après une formation académique à Vienne et à Berlin, Otto Wagner débute sa carrière dans les années 1860 dans une capitale autrichienne en pleine métamorphose qui vient de se doter de son Ring, son immense boulevard circulaire. Bourgeois aisé en quête de reconnaissance officielle, il participe à tous les concours. Une succession de fascinants dessins dévoile un style tourné vers l’architecture classique, dont des projets qui évoquent bâtiments idéaux et autres cités utopiques. Les échecs s’enchaînent. « Il n’y avait pas de concours auquel il n’eût participé. Mais Otto Wagner était un artiste, et c’est pourquoi le premier prix lui fut toujours refusé », écrit en 1911 l’architecte Adolf Loos, qui voit du « génie » dans l’œuvre de son compatriote. C’est par le fonctionnalisme qu’il va tirer son épingle du jeu. Nommé en 1893 maître d’œuvre pour la construction du réseau des transports urbains de la ville, il privilégie un bâti rationnel. Avec sa structure en fer et tôle ondulée empruntée à l’architecture industrielle, la fameuse station de la Karlsplatz – aujourd’hui un café – fait parler d’elle dans toute l’Europe. Au même moment, Otto Wagner commence à diffuser ses idées à une petite bande d’élèves triés sur le volet à l’Académie des beaux-arts de Vienne, où il est nommé en 1894. Délaisse-t-il alors pour de bon l’architecture historiciste pour entrer pleinement dans la modernité ? Certains de ses élèves, comme Josef Maria Olbrich et Josef Hoffmann, participent à la création de la Sécession avec Gustav Klimt, Egon Schiele ou encore Koloman Moser. Si Otto Wagner ne rejoint le mouvement d’avant-garde qu’en 1899, il est bien une des têtes pensantes de cet Art nouveau qui se libère d’une esthétique passéiste. Dans Architecture moderne, son ouvrage phare paru en 1896, il affirme son credo : « Rien qui ne soit fonctionnel ne pourra jamais être beau ».
Pourtant, l’insaisissable Otto Wagner ne délaissera jamais vraiment l’ornementation pour un fonctionnalisme pur. Chef-d’œuvre absolu de l’architecte édifié à Vienne entre 1903 et 1912, en partie reconstitué dans l’exposition, la Caisse d’épargne de la poste mêle systématiquement décor et fonction, de la façade rythmée par des clous de fixation laissés apparents à la lumineuse salle des guichets éclairée par une large verrière. Œuvre d’art totale construite une dizaine d’années avant le Bauhaus, elle fait d’Otto Wagner un père fondateur de l’architecture du XXe siècle. Un précurseur de la modernité, aujourd’hui célébré comme tel.
« Otto Wagner. Maître de l’Art nouveau viennois », jusqu’au 16 mars, Cité de l’architecture et du patrimoine, 1, place du Trocadéro, 75016 Paris.