Comment vivez-vous personnellement ce confinement ?
C’est une étrange sensation de solitude connectée, enrichie du sentiment d’une grande proximité avec ses proches et des collègues d’autres établissements et d’autres pays. Paradoxalement, nous sommes sans doute davantage dans l’échange, le partage d’expériences depuis le confinement. C’est aussi un sentiment inédit car cette situation est partagée actuellement par près de la moitié de l’humanité. C’est à la fois terrifiant et permet de relativiser et minorer les défis auxquels nous faisons face, surtout en regard de toutes celles et ceux qui sont actifs sur le terrain pour le bien commun. La situation est évidemment terrible mais j’ai aussi le sentiment d’avoir aujourd’hui accès à un luxe inouï : me réapproprier un temps qui est habituellement essentiellement fait d’impératifs, d’échéances. Sortir d’une forme d’urgence permet ainsi de repenser et renforcer le sens de ce que l’on fait, de son engagement à l’égard des artistes et des publics.
Comment votre institution s’est-elle organisée ?
Les premiers jours ont été consacrés à la mise en sécurité du musée et des œuvres, à définir des priorités, faciliter l’accès de chacun à des outils et dossiers permettant la poursuite du travail. Il a fallu également prendre des dispositions urgentes dans les heures précédant le confinement pour reporter des démontages et des transports d’œuvres, prolonger la rétrospective dédiée à Lars Fredrikson, organisée en collaboration avec le NMNM [Nouveau Musée National de Monaco]. Une grande partie de l’équipe reste mobilisée à domicile, entre impératifs familiaux, contingences liées au confinement et continuité de l’activité du MAMAC. Je suis fière de l’équipe et de sa mobilisation dans ce moment si particulier. La plupart de celles et ceux qui ne peuvent exercer leur métier ou que partiellement, se sont portés volontaires pour des missions de solidarité mises en œuvre par la ville [de Nice]. Je trouve cela formidable et nécessaire. La question du « prendre soin de » – ce fameux Care, dans sa perspective féministe –, avec son éthique de l’attention et tous les enjeux sociaux et politiques qu’il soulève, est aujourd’hui un impératif. La situation rend visible plus que jamais la nécessité de le repenser et d’en revaloriser les acteurs et actrices.
Sur quels projets travaillez-vous pendant cette période ?
Avec l’équipe, nous travaillons à différents scénarios de report de la grande exposition historique « She-Bam Pow POP Wizz ! Les Amazones du POP », qui propose pour la première fois à cette échelle une relecture du mouvement pop à travers la contribution des artistes femmes. Elle était prévue pour le 7 mai et nous finalisons le catalogue. Nous réfléchissons également au report de la journée de célébration des 30 ans du MAMAC et de l’exposition dédiée à « Ursula Biemann. Savoirs indigènes - Fictions cosmologiques », prévue dans le cadre des Parallèles du Sud de Manifesta 13. La fin 2020 et l’année 2021 sont aussi repensées. Nous serons quoi qu’il en soit très vigilants à maintenir nos engagements auprès des artistes, des auteur.e.s, des compagnies. C’est également un temps pour avancer sur des dossiers au long cours comme la refonte du site Internet du musée. De manière plus profonde, dans ce temps où l’on œuvre avec l’incertitude, je me refuse à la frénésie et à la fuite en avant et essaye de prendre l’avantage de cette « hibernation » relative et forcée pour réfléchir au rôle du musée. J’ai un attachement profond aux missions de service public des musées. Cette crise va nous fragiliser plus encore et il faudra avec toujours plus d’agilité inventer des réponses, des méthodes, nous repositionner artistiquement. Depuis plusieurs années, je défends comme d’autres collègues, notamment de ma génération, le fait de revitaliser l’histoire de l’art par de nouveaux récits, de nouvelles voix, autrefois considérées comme périphériques mais dont nous comprenons aujourd’hui l’importance et la pertinence. Je pense notamment à Gustav Metzger (Remember Nature, 2017, MAMAC), pionnier sur les enjeux écologiques et que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de « lanceur d’alerte ». Ce sera – il me semble – plus que jamais nécessaire d’affirmer cet engagement et ce regard des institutions publiques. La crise sanitaire met aussi en avant des notions d’interrelation, de complexité, d’adaptation – autant de mots-clés qui sont des enjeux communs aux défis culturels, sociaux et écologiques qui sont les nôtres. Tous me semblent intimement liés. Depuis dix ans, je réfléchis et lie intimement regards artistiques autour des enjeux écologiques, écoconception des projets, inscription de ces réflexions dans des contextes et récits locaux. Cette crise et ce qu’elle soulève me confortent dans cette voie.
Quels dispositifs avez-vous ou allez-vous mettre en place pour rester en contact avec le public ?
Le site Internet est régulièrement enrichi de nouveaux contenus : visites filmées des expositions actuelles et passées ; jeux, quiz, activités autour des collections à réaliser en famille en ces temps de confinement ; tutos pour des ateliers avec les enfants. L’équipe – notamment de médiation – se mobilise autour de cela. La Ville a également mis en place un portail mettant en avant les contenus des acteurs culturels et des vidéos valorisant les collections seront disponibles prochainement. Depuis mon arrivée au MAMAC et avec le soutien des équipes et de la Ville, je m’attache à réancrer le musée dans son territoire, à en faire un espace de partage, un lieu ouvert aux regards de chorégraphes, conteurs, comédiens, performeurs et aux récits de publics non « sachants ». Plus que jamais, lorsque nous ouvrirons les portes, il faudra réenchanter le quotidien du musée, enrichir et nourrir nos relations avec les partenaires et les publics, portés par la générosité et un impératif de sens.