Comment vivez-vous personnellement ce confinement ?
Côté pratique, c’est très simple. J’ai la chance d’être confinée dans un appartement confortable, je ne suis pas seule. Et même si je me sens absolument privilégiée, on ne peut pas faire l’impasse sur les émotions, les questions qui nous traversent. Comme le dit Nekane Aramburu, que nous avons invitée en résidence en février, « Les directeur·trice·s sont des activateur·trice·s ». Nous avons dû immédiatement nous mettre en mouvement malgré la sidération; agir tout de suite. Je pense beaucoup à l’œuvre de Jean-Marie Krauth, un ensemble de 200 tampons marqués « Que faire ? » dans plus de 150 langues, qui est entrée dans la collection du FRAC Alsace l’an dernier. Tamponner « Que faire ? » de partout, ça donne envie.
IL FAUT RECRÉER DE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE MALGRÉ LA DISTANCE
Comment votre institution s’est-elle organisée ?
Nous étions au FRAC dans un moment très calme; Stephen Felton était arrivé à Reims le 8 mars pour dix jours de résidence durant lesquels il réalisait deux peintures monumentales sur place. Il avait proposé cette résidence pour éviter un transport de ces œuvres entre son atelier de New York et le FRAC. Vendredi 13 [mars], nous avons tous compris que son vernissage, prévu le jeudi suivant, n’aurait pas lieu. Nous avons réussi à changer son billet d’avion pour un retour express le lundi 16 mars, in extremis. Stephen Felton a peint tout le week-end pour finir son exposition. Nous avons eu beaucoup de chance de l’avoir avec nous à ce moment-là. Il a participé à la sérénité qui a régné lorsque nous avons fermé le FRAC. Nous ne savons pas encore quand son exposition pourra ouvrir… Mais nous l’avons d’ores et déjà prolongée jusqu’au 25 octobre 2020.
Dès le premier jour, notre priorité a été d’organiser au mieux le travail pour les salariés du FRAC. Le confinement est très différent pour chacun, tant dans la situation concrète que dans le ressenti. Le télétravail total, de l’ensemble de l’équipe, demande une attention accrue pour que chacun exerce sont activité dans de bonnes conditions. Il faut recréer du lien, de la coopération, de la concertation, de l’intelligence collective malgré la distance. Cela ne se fait pas tout seul et j’espère que les solutions que nous trouverons maintenant enrichiront nos relations de travail ensuite.
Notre attention s’est ensuite dirigée autour de nous, vers les artistes et les indépendant·e·s avec qui nous collaborons. Le FRAC est un organisme ductile ; nous avons donc pu très vite imaginer un scénario en accord avec les valeurs de solidarité qui nous animent: les événements ne sont pas annulés, ils sont reportés. Cela nous permet de payer dès aujourd’hui, comme le recommande le ministère de la Culture, les artistes avec qui nous étions engagés au moment de la fermeture, que le projet soit achevé ou non. Au-delà du paiement des acquisitions, auxquelles on associe spontanément les FRAC, la rémunération concerne aussi les droits d’exposition, les ateliers, les performances, les résidences, les conférences…
Sur quels projets travaillez-vous pendant cette période ?
Nous continuons à avancer sur les expositions à venir: un duo show de Cathy Josefowitz et Susie Green réalisé en co-commissariat avec Bettina Moriceau Maillard, à partir du 5 novembre ; le festival de spectacle vivant FARaway, auquel le FRAC participe activement avec La Comédie, Le Manège, l’Opéra, Césaré, Nova Villa et la Cartonnerie, du 4 au 14 février 2021 [à Reims] avec, en concert d’ouverture, un DJ set de l’artiste Emeka Ogboh; une nouvelle édition de « Plein Jeu », notre rendez-vous consacré à la création émergente, au printemps 2021; une exposition au centre d’art Passages à Troyes où Romuald Jandolo est invité à présenter ses œuvres
LES ÉVÉNEMENTS NE SONT PAS ANNULÉS, ILS SONT REPORTÉS
en écho à celles de la collection du FRAC sur le thème de la boîte de nuit hantée. L’exposition collective « Monts Analogues », autour du roman de René Daumal, devait ouvrir cet été. Nous avons décidé avec Boris Bergmann, auteur et co-commissaire de ce projet, de la décaler à l’été 2021, pour laisser le temps à cette exposition chorale et à tout le programme prévu autour de se déployer. Et puis, il y a aussi les nouveaux projets, ceux que le confinement a rendus urgent. Nous avons envie de renforcer notre présence sur Internet : le FRAC se déplace toute l’année dans sa région, nous sommes une institution hors les murs qui essaye de penser un modèle de diffusion sans centre ni périphérie. Cette expérience de terrain doit pouvoir se traduire numériquement, cela relève de notre mission essentielle de sensibilisation à l’art.
NOTRE EXPÉRIENCE DE TERRAIN DOIT POUVOIR SE TRADUIRE NUMÉRIQUEMENT
L’écologie est aussi au cœur de nos réflexions actuelles. Avec le FRAC Alsace et le FRAC Lorraine, nous avons initié cette année notre première Résidence Nomade, une invitation chaque année à un·e commissaire étranger·e, à découvrir nos collections et à rencontrer les artistes et acteur·trice·s du territoire. Notre première invitée, Nekane Aramburu, est une spécialiste de l’écologie et des bonnes pratiques de gouvernance dans la culture. Sa vision intersectionnelle du sujet est une source d’inspiration pour nos institutions françaises qui peinent à prendre le train de la transition écologique en marche. Son carnet de résidence sera publié dans le magazine annuel du FRAC Champagne-Ardenne, le CARF. Nous mettons déjà en œuvre plusieurs principes simples : limiter la scénographie, chez nous les œuvres modulent l’espace, pas les cimaises jetables; pour l’exposition « Monts Analogues », nous avons mené un travail de recherche de fourmis pour trouver autour de nous les œuvres qui forment la constellation intellectuelle de ce projet, dans des collections proches de Reims, de façon concentrique, sans renoncer à l’exigence du propos. Nous devons aller plus loin. Avec mes collègues des FRAC du Grand Est, Felizitas Diering et Fanny Gonella, nous réfléchissons ensemble à nos déplacements. Après le confinement, nous voulons envisager la mobilité autrement.
Quels dispositifs avez-vous ou allez-vous mettre en place pour rester en contact avec le public ?
En relisant l’essaie de Susan Sontag One Culture and the New Sensibility (1966), une phrase m’a sautée aux yeux : « Il ne peut y avoir de divorce entre la science et la technologie d’un côté, et l’art de l’autre; pas plus qu’il ne peut y avoir de divorce entre l’art et les formes de vie sociale ». Les réseaux sociaux sont aujourd’hui la technologie idéale pour recréer une forme de vie sociale autour de l’art. Sur le compte Instagram du FRAC Champagne-Ardenne, nous faisons découvrir depuis deux semaines nos dernières acquisitions. Le compte Instagram des trois FRAC de la région Grand Est a été le lieu d’un compte rendu de la résidence de Nekane Aramburu puis d’un programme inédit autour de la couleur. Le compte Facebook de Platform fait un focus sur un FRAC chaque semaine et relaie les activités mises en ligne par les 23 FRAC. Les #culturecheznous et #lesfracchezvous sont nos étendards.
D’autres contenus sont à redécouvrir: le FRAC réalise depuis un an de courtes interviews d’artistes, des vidéos, totalement home made, qui posent des questions décalées et que l’on peut voir sur notre compte Vimeo. Celle de Stephen Felton sera bientôt prête ! Et puis, la collection du FRAC est complètement accessible en ligne, depuis notre site Internet.