Comment vivez-vous personnellement ce confinement ?
De façon duale et paradoxale. D’un côté le grand bonheur d’être en famille et de vivre ensemble cette si étrange période, de partager cette expérience, ce temps suspendu et néanmoins comme retrouvé. D’un autre côté, comme nous tous, rongée par l’inquiétude de cette tempête qui s’abat sur nous, pour nos proches, pour le futur en général et particulièrement pour les différents acteurs du monde artistique, artistes et galeristes, tous ceux qui ont vu leur activité totalement interrompue pendant tant de semaines. Pour rester en contact avec mes proches et les artistes, je redécouvre les joies du téléphone, que j’avais un peu oubliées... Je jongle comme beaucoup d’entre nous avec la logistique familiale, le travail, et l’échappée que redevient la lecture, je passe ce temps de privation de liberté avec la plus libre des auteures, Goliarda Sapienza, qui m’accompagne depuis longtemps avec l’Art de la joie, maintenant avec ses Carnets que la secrétaire générale du musée m’a offerts juste avant notre retranchement, une ode à la liberté sous toutes ses formes et sans condition !
Comment le MAC VAL s’est-il organisé ?
L’équipe est en télétravail, et nous mettons toutes et tous beaucoup d’énergie à réfléchir et parler ensemble, grâce à tout un tas de plateformes qui nous font faire beaucoup de progrès dans le numérique... L’organisation reste très collective, nous avons d’abord paré aux urgences, reports et règlements de nos partenaires. Aujourd’hui que nous en savons un peu plus, même si à l’heure où je vous parle nous ne connaissons toujours pas la date de réouverture des musées, nous nous projetons dans cette période de déconfinement afin d’organiser les meilleures conditions de travail tant en termes sanitaires que personnels pour le retour de l’équipe, puis du public au musée.
Sur quels projets travaillez-vous pendant cette période ?
La relance tout d’abord de nos deux dernières expositions fermées quelques jours après que nous avons eu la chance de pouvoir les inaugurer le 6 mars (ouf !). Toutes deux résonnent de façon prophétique avec l’actualité que nous vivons tous aujourd’hui. Tout d’abord la première exposition « duographique » de Brognon Rollin « L’avant-dernière version de la réalité » habitée par les questions de l’enfermement sous toutes ses formes, mais aussi son corollaire, la relativité du temps, sujets qui entrent étrangement en résonance aujourd’hui avec cette expérience vécue par l’ensemble de l’humanité. Puis « Le vent se lève », nouvelle exposition de la collection, qui explore les relations que l’humanité entretient avec la Terre, traversant les temps géologiques jusqu’aux transformations et révoltes les plus contemporaines, avec en son cœur l’œuvre offerte par Tatiana Trouvé au musée, Desire Lines. Ce parcours comme cette œuvre appellent la figure essentielle du marcheur, qui parcourt et mesure la Terre dans une relation directe, qui marche pour penser, rêver, se révolter et défendre ses droits. L’exposition Brognon Rollin est prolongée jusqu’en janvier 2021 afin de pouvoir aussi offrir au public toute l’action éducative et culturelle auxquelles les équipes ont tant travaillé et qui l’accompagne. Ensuite, nous envisageons un temps festif des retrouvailles avec le public avec le report des Nuit des musées en novembre qui coïncide avec l’anniversaire des 15 ans du MAC VAL (déjà !!!). Cependant, nous espérons bien rouvrir avant, pour l’été, et être là pour accueillir tous ceux qui ne partiront pas en vacances cet été, comme nous le faisons tous les ans d’ailleurs. Nous profitons de ce temps pour poursuivre et développer le travail de fond sur la documentation de la collection grâce à Videomuseum, le réseau professionnel et de base de données des collections publiques d’art moderne et contemporain afin d’en faire l’archive, également consultable, de la collection. Nous organisons aussi le Plan de sauvegarde des collections, un travail de fond sur le devenir écoresponsable du MAC VAL, et en termes culturels, entre autres, la résidence de la chorégraphe Ana Pi, plus à distance que prévue (!), notre participation au programme européen Dancing Museum, l’opération « C’est mon patrimoine » cet été, et l’exposition suivante consacrée à Taysir Batniji, merveilleux artiste franco-palestinien début 2021.
Quels dispositifs avez-vous mis ou allez-vous mettre en place pour rester en contact avec le public ?
Nous avons développé une présence absolument liée à la personnalité du MAC VAL, donnant rendez-vous tous les jours à 13 heures sur les réseaux sociaux pour découvrir un atelier d’artiste, une voix d’artiste, une œuvre accompagnée par un conférencier. Nous cherchons à mettre en place une relation la plus directe possible entre les artistes et le public, même si nous avons conscience que ce type d’actions ne peut s’adresser à tous les publics comme nous le réalisons dans nos murs. Cela nous donne néanmoins l’occasion de faire vivre les deux expositions qui transforment tant le MAC VAL !
Qu’est-ce que cette période augure pour la suite selon vous ?
Je suis impatiente de retrouver le musée et l’équipe, mais inquiète pour les acteurs de l’art, fragilisés économiquement et probablement moralement par cette crise. Il relève des institutions de les aider plus que jamais. Je redoute également les nouvelles relations qui vont se mettre en place. Nous devrions fabriquer du collectif et un nécessaire regroupement de pensée pour faire changer nos modes de vie et remettre le monde en mouvement, je redoute un repli sur soi qui fasse craindre l’autre pour ce qu’il représente de danger potentiel. Je crois profondément que dans ce contexte, notre rôle sera de recréer des communautés, de rassembler autour de sujets communs, de rappeler que l’autre est notre richesse. J’aspire à être ensemble. Je pense que paradoxalement, nous n’avons jamais eu tant envie et besoin de matérialité, de corporéité. Cette période d’éloignement me convainc encore plus si possible que la véritable découverte des œuvres ne peut se réaliser que dans une relation physique avec elles, dans ce récit que toute muséographie met en espace, et que nous aurons, plus que jamais, plus qu’avant peut-être même, besoin et envie des lieux qui rendent possibles ces rencontres.