Comment vivez-vous personnellement ce confinement ?
Le Musée d’arts de Nantes a fermé le dimanche 15 mars, quatre jours avant l’ouverture de l’exposition « Archipel : le fonds de dotation Jean-Jacques Lebel ». J’avoue qu’après avoir organisé, très rapidement, le retour des équipes chez elles, et le télétravail lorsqu’il était possible, j’ai été saisie par une forme de sidération. Il y a quelque chose de profondément étrange à diriger un lieu dédié aux autres, mais fermé. Deux choses ont suscité mon admiration : le dynamisme de l’équipe, qui s’est elle-même organisée en groupes et sous-groupes, transversaux ou non, pour proposer une offre dématérialisée aux visiteurs. Et les chanteurs – comme Stephan Eicher, Jean-Louis Aubert, Bertrand Belin – que l’on a vu se saisir d’une guitare et chanter dans leur appartement m’ont donné une leçon : « do what you do best, share and keep smiling ! » J’ai alors commencé à publier presque chaque jour une très courte notice sur une œuvre du musée sur Linkedin. Ces toutes petites offrandes, qui parlent moins de ce que l’on sait que de ce qui se passe lorsque l’on est face à une œuvre d’art, m’ont aidée à me souvenir de l’une des choses que j’aime le plus dans mon métier : trouver les mots qui aident à voir.
Comment le Musée d’arts de Nantes s’est-il organisé ?
Un Plan de continuité d’activité a mis en place une organisation visant à préserver notre patrimoine commun : les bâtiments, les œuvres, et une présence pour ce qui ne pouvait être continué à distance. La responsable du service des collections, le responsable de la sécurité et de la maintenance, les merveilleuses sociétés externalisées de sécurité, maintenance ou ménage veillent comme sur la prunelle de leurs yeux sur la Belle au bois dormant. Elle doit rester comme si le public allait y revenir le jour suivant. Ce film, saisi la semaine dernière par la photographe-vidéaste du musée, permet au visiteur, comme ces quelques privilégiés, de se glisser à l’intérieur, d’entendre résonner ses pas, et de se laisser envahir par la magie et les fantômes bienveillants du lieu : https://museedartsdenantes.nantesmetropole.fr/home/informations-actus/actualites/resonances-dune-collection.html La programmation a été également réorganisée, mais nous avons eu beaucoup de chance dans ce domaine : le conseil d’administration du fonds de dotation Jean-Jacques Lebel, qui est à l’origine de 95 % des prêts d’« Archipel » a accepté de prolonger la durée des prêts pour que l’exposition puisse être visible jusqu’à la fin de l’été au moins, peut-être au-delà. Angela Bulloch, qui préparait une installation spécifique pour le patio du musée cet été, a accepté que nous la reportions à l’été prochain. Et enfin, l’exposition « Hypnose » qui raconte à travers une exposition et une installation de l’artiste vidéaste américain Tony Oursler les liens intimes qui se sont tissés entre l’art et l’hypnose depuis Mesmer, ouvrira nous l’espérons à la date prévue du 15 octobre. Nantes métropole, notre tutelle, nous soutient comme ses autres structures culturelles, ce qui rend évidemment beaucoup moins violente la période actuelle qu’elle ne l’est pour les institutions privées ou les artistes.
Sur quels projets travaillez-vous pendant cette période ?
La partie « directrice » de mon travail s’est allégée, moins de réunions, plus aucun déplacement. Je tente néanmoins, avec les outils virtuels, de garder le contact. Mais il en va du management comme du plaisir esthétique : il manque les mille ondes de la présence, celles qui vous donnent des informations indicibles et précieuses sur ce que ressentent vraiment les individus. Comme un aveugle de fraîche date, j’avance à tâtons pour apprendre à tirer parti des outils mécaniques. Et une grande partie des équipes, conservation, communication, éducation, administration peut encore réaliser beaucoup de travail en préparation des projets et des expositions à venir. Personnellement, je profite de ce temps libéré pour renforcer la partie « conservatrice » de mon métier. Nous préparons une exposition pour février 2021 sur les artistes américains en France après la Seconde Guerre mondiale dont je suis co-commissaire. J’enrichis mes connaissances sur cette période fascinante et complexe des relations transatlantiques.
Quels dispositifs avez-vous mis ou allez-vous mettre en place pour rester en contact avec le public ?
Nous avons commencé par mettre en valeur les outils virtuels disponibles : presque la totalité de la collection est en ligne, et photographiée, sur le site Internet du musée, www.museedartsdenantes.fr. Nous disposons également d’une appli de visite gratuite, Musée d’arts de Nantes – Ma visite, que l’on peut télécharger même quand on est loin du musée, et qui vous permet une visite organisée suivant divers parcours. Je vous recommande le parcours sur les femmes artistes de la collection, qui vient de sortir. Le musée avait également réalisé bon nombre de vidéos sur ses collections, sur certaines de ses expositions passées, que nous avons remises en ligne.
Ensuite, le service des publics et la communication ont collaboré pour inventer de nouveaux outils, qui mêlent, sur les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, Twitter) des jeux, des anecdotes, des idées d’ateliers à réaliser avec les enfants. Enfin, deux grandes galeries du musée seront bientôt accessibles en visite virtuelle. J’aimerais néanmoins conclure en plaidant pour la réouverture rapide des musées : la vision des pouvoirs publics a pu être marquée par la situation parisienne qui regroupe des institutions tout à fait exceptionnelles en termes de fréquentation. Les plus grandes institutions artistiques de région ont des fréquentations qui oscillent entre 1 000 et 1 500 visiteurs par jour. Cela permet, je le crois, des adaptations pour combiner précautions sanitaires et cet outil à la fois inutile et profondément indispensable qu’est le contact incarné, spatial, charnel avec des objets artistiques.