Comment avez-vous vécu personnellement ce confinement ?
De façon fluctuante, entre l’inévitable plongée en soi-même et l’empathie au monde, la tentative de mieux l’entendre et le sentir. Difficile d’échapper alors à des sentiments contradictoires, entre l’inquiétude d’une possible désolation à venir et l’espoir d’un ressaisissement salutaire. Pourtant, cette traversée de l’espace-temps m’a finalement conduite vers un état d’attention et de calme propice à l’action. Créer ou recréer du lien, ensemble en équipe, avec les artistes et nos partenaires proches est devenu une évidence. Plus que du télétravail, ces échanges sont devenus nécessaires et nous ont permis d’avancer collectivement dans la perspective de nous adapter à cette situation nouvelle afin de mieux retrouver notre public. Aujourd’hui, c’est dans ce même esprit que nous préparons notre réouverture prévue pour le 5 juin, en tentant de respecter au mieux les situations de chacun.e.s, les attentes des artistes et de nos visiteurs.
Sur quels projets avez-vous travaillé pendant cette période ?
Tout d’abord, nous nous sommes concentrés sur l’exposition « Infantia » de Fabien Giraud et Raphaël Siboni fermée après seulement deux semaines d’ouverture. Celle-ci, irriguée par la puissance de la fiction, entre démantèlement et métamorphose, résonne désormais avec plus d’acuité encore. Comment la transmettre alors au plus juste dans le contexte actuel ? Prolongée jusqu’au 27 septembre, « Infantia » va d’ici là pouvoir poursuivre sa propre transformation et intégrer les visiteurs à ce processus de genèse de façon plus aiguë encore.
Parallèlement, les artistes invités par le Laboratoire espace cerveau peuvent se consacrer à la conception de la station 17 sous un angle différent. Initialement intitulée « Sunspot, Expérience de pensée pour un autre rapport à la valeur », celle-ci est ainsi repoussée aux 25 et 26 septembre.
Toujours dans le cadre du Laboratoire espace cerveau, nous envisageons pour la fin de l’année un temps de recherche, une grande station, afin de revenir sur les enjeux du cycle « Vers un monde cosmomorphe » et de réévaluer les études menées tout récemment, comme celle proposée par Daniel Steegmann Mangrané, Faire Chair, Comment changer de paradigme dans des mondes enchevêtrés ou celle proposée par Raphaël Brunel et Julien Discrit, Métamorphoses et contaminations, la permanence du changement.
Depuis 2016, le Laboratoire, qui rassemble artistes et chercheurs, explore les liens organiques qui unissent l’humain au cosmos, nous conduisant à reconsidérer sa place relative parmi la multiplicité des êtres et de leurs relations. Sous-tendu par les actuelles questions biologiques et environnementales, ce laboratoire s’est jusqu’à présent proposé d’y contribuer par l’émergence et le partage de nouveaux imaginaires que les œuvres viennent cristalliser. Comment étendre désormais ces pratiques, comment davantage les partager ?
Avec la « Fabrique du Nous », notre prochain projet pour octobre prochain, nous aspirons précisément à une mise en pratique plus largement collective. Cette manifestation initialement prévue pour cet été, émane d’une conception collective de l’équipe de l’IAC en collaboration avec l’Urdla (Villeurbanne) dans la perspective d’apprendre ensemble à l’échelle du territoire de Villeurbanne à créer du lien, à construire un Nous, humain et non-humain. Il nous est alors apparu à la fois comme un défi et une nécessité que de maintenir ce projet en dépit des impératifs de distanciation des corps. Pour cette première édition, nous avions considéré l’usage du rituel comme l’étape initiale de ce Nous. Aussi, c’est entre perplexité et enthousiasme que nous tentons actuellement d’élaborer avec les artistes d’autres modes de partage et de proximité (L’exposition « Rituel.le.s » rassemble des artistes de la collection IAC telles que Lola González, Adrian Piper, Lygia Pape, Charwei Tsai... ainsi que des artistes chercheures du Laboratoire espace cerveau ou autres comme Tiphaine Calmettes, Célia Gondol, Suzanne Husky, Sandra Lorenzi, Stéphanie Raimondi, Nina Santes...).
Enfin, nous avons également poursuivi la préparation de l’exposition monographique d’Apichatpong Weerasethakul initialement prévue pour octobre et repoussée en février 2021. Il s’agit dans ce cas de veiller à préserver, en dépit de l’éloignement, les conditions de travail les plus sereines possibles...
Quels dispositifs avez-vous mis en place pour rester en contact avec le public ?
Nous avons souhaité transmettre au public des contenus en adéquation avec notre ADN et, pour cela, un temps d’échange avec les artistes s’est avéré nécessaire. De plus, il m’a semblé préférable d’initier des projets numériques susceptibles de pouvoir se prolonger hors confinement. Nous avons commencé par la diffusion chaque semaine d’un live de 24 heures du film The Everted capital (1971-4936)/saison 2, de Fabien Giraud et Raphaël Siboni. Issu d’une performance de 24 heures, ce film est généré en direct par une intelligence artificielle depuis l’IAC. Nous avons également imaginé avec les artistes de Galeries Nomades, notre programme pour la jeune création sur le territoire d’Auvergne-Rhône-Alpes, des Carnets nomades qui permettent aux artistes de partager avec tous l’évolution de leurs projets. Pour le Laboratoire espace cerveau, nous proposons une façon simple et ludique d’explorer la multiplicité de ses contenus à travers la pratique d’exercices ou d’expériences à réaliser à partir d’une œuvre. Comme avec Phopshènes proposée par Ann Veronica Janssens : susciter, à partir d’une longue pression sur les paupières, une immersion lumineuse intérieure... Ces projets numériques me semblent pouvoir en susciter d’autres dans le futur, en impérieuse complémentarité bien évidemment avec le fondement de notre activité, celui de la présence, de la relation et de l’expérience. Conjuguer présence et virtuel est-il possible ? Et comment en ce cas préserver nos libertés individuelles ?
Qu’est-ce que cette période augure pour la suite selon vous ?
Présager l’avenir devient plus encore aujourd’hui un exercice inadéquat tant tout est mouvant et incertain. Peut-être faut-il commencer par apprivoiser cette incertitude mais plus encore dompter la peur. Cette peur qui nous domine et peut nous conduire au pire. C’est pourquoi je préfère garder confiance comme pour inspirer une énergie positive. Les diverses prises de conscience déjà à l’œuvre se sont trouvées dans cette période comme amplifiées, à l’échelle de la planète entière. Comment alors ne pas espérer qu’une telle expérience ne puisse que nous conduire vers d’autres visions du monde et de nouveaux imaginaires? Si chacun peut à son niveau contribuer à ces transformations, c’est pourtant bien avec la création comme outil du sensible, combinée à la recherche comme projection des possibles, que de réelles métamorphoses pourront advenir. Et plus que jamais de façon collective et solidaire.