Elle savait depuis longtemps qu’elle serait artiste, depuis le jour où une camarade de l’école primaire lui a montré un de ses dessins, et où elle a ressenti la nécessité de faire de même. Née au Malawi, Billie Zangewa a grandi au Zimbabwe, après une courte période passée au Botswana. Dans ces univers, l’art et la création avaient peu de place hors des groupes de couture de sa mère sud-africaine, qui ont suffi à lui donner la passion des tissus, de la broderie et de la couture. Un peu plus tard, elle est partie faire des études d’art à Johannesburg, spécialité gravure. De retour au Botswana dans la maison de son père, ne pouvant pas installer d’atelier, elle a rassemblé des morceaux de tissu glanés ici et là, et a tracé son propre chemin : une pratique singulière mêlant le côté graphique de l’estampe, le travail pictural de la couleur et les volumes de la sculpture.
Un engagement suggéré
Au début, elle fabrique des sacs à la mode – le magazine Vogue l’a beaucoup influencée, raconte-t-elle. Mais les représentations en peinture que Paul Cézanne, Vincent van Gogh et Claude Monet ont faites du quotidien l’ont marquée plus encore. Ses premières œuvres sont des silhouettes d’animaux cousues sur des bandes de tissu. Puis elle se met à dépeindre elle aussi des scènes du quotidien, assez souvent des autoportraits – avec son bébé dans les bras, avec une tasse de thé à la fin d’une journée épuisante –, ou bien son fils et son mari.
Une pratique singulière mêlant le côté graphique de l’estampe, le travail pictural de la couleur et les volumes de la sculpture.
Billie Zangewa est très « ancienne école », comme elle le dit elle-même. Ses compositions sont en général inspirées de photographies, mais elle ne les projette jamais sur la toile de fond. Elle commence par dessiner des patrons sur de vieux journaux, puis réfléchit aux nuances de couleurs, aux reflets que différentes épaisseurs superposées peuvent produire. Ensuite, elle découpe les morceaux de différents tissus qu’elle épingle, avant de les confier à deux assistantes qui les fixent à la main – jamais à la machine. Pour elle, l’acte de création, c’est ce découpage à vif dans la couleur.
Sur la scène sud-africaine, où la violence est omniprésente, elle construit une œuvre engagée mais dont la dimension politique, notamment en faveur de la place des femmes noires marginalisées et réduites au silence, est simplement suggérée. « Je ne déteste pas spécialement les hommes, mais le régime patriarcal, qui est aussi très mauvais pour les hommes », dit-elle clairement. Elle passe ses messages par des scènes de tendresse ou des moments graves, plus que par la représentation d’une souffrance explicite, soulignant volontiers que ses origines malawites et le fait qu’elle soit born free dans les années 1970 la protègent de l’héritage quasi exclusif de l’apartheid que plusieurs générations d’artistes ont reçu en Afrique du Sud.
Billie Zangewa présente ses œuvres les plus récentes non pas encadrées mais punaisées, comme flottant sur le mur. Ces tissus ont parfois des découpes surprenantes, qui évoquent les shaped canvases – en l’absence de tout châssis. C’est peut-être la marque de violence la plus forte que manifeste son œuvre : une sorte de transgression formelle qui en évoque d’autres. En même temps, on s’aperçoit, si on a vraiment l’œil, que les vides laissés par certains découpages correspondent à des silhouettes utilisées ailleurs : ce sont des fantômes qui planent sur ces œuvres. Par exemple, dans son exposition actuelle à la galerie Templon, la découpe de la mer dans laquelle son fils apprend à nager a la forme de la silhouette de son mari vue dans une autre œuvre, mise à l’horizontale. Ses images, en particulier Cold Shower, au titre évocateur, portent en elles la difficulté d’être au monde, mais il en émane aussi un certain optimisme, une confiance dans l’attention que les humains se portent les uns aux autres.
« Billie Zangewa », galerie Templon, 30, rue Beaubourg, 75003 Paris.