« Le luxe tape-à-l’œil et excessif va traverser une période difficile et il va prendre des formes beaucoup plus discrètes. » C’est ce qu’a écrit le Financial Times dans un récent supplément – consacré non pas à l’art, mais aux montres. Et pourtant, ces mots pourraient bien s’appliquer aux œuvres que les gens seront disposés à voir, acquérir et montrer après que la pandémie de Covid-19 aura décliné ou été vaincue.
APRÈS UN CHOC COMME CELUI QUE NOUS TRAVERSONS, IL EXISTE SOUVENT UN RETOUR VERS LES « VALEURS SÛRES »
L’une des victimes (artistiques) de cette période sera certainement l’art de la performance. En effet, comme l’a déclaré sa grande prêtresse, Marina Abramovic, dans un podcast de l’édition internationale de The Art Newspaper, « la performance n’est pas possible actuellement, elle nécessite un contact direct avec le public ; l’interprète et le public accomplissent [ensemble] l’œuvre, et avec la distanciation sociale, nous ne pouvons pas le faire. »
Ainsi, même si vous achetez le droit d’exécuter une pièce, il ne vous servira à rien de l’avoir, du moins pour l’instant. En effet, j’ai le sentiment que toute forme d’art non traditionnelle va souffrir : l’histoire nous apprend qu’après un choc considérable comme celui que nous traversons aujourd’hui, il existe souvent un retour vers les « valeurs sûres » qui ont fait leurs preuves. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les jeunes inconnus, pour qui les collectionneurs auraient bien pu se laisser tenter avant le Covid-19. Tout comme l’art de la performance qui est en retrait, j’imagine que tous les projets qui nécessitent par exemple de sauter dans un avion de ligne (sauf si vous avez un jet privé) pour aller voir une installation incroyable sur, disons, une île grecque, vont essuyer un refus d’office. Et en tout cas, acquérir une œuvre un peu trop démonstrative va sembler bien déplacé dans la perspective de ce qui ressemble à une récession massive. Il est probable que les œuvres d’art monumentales, brillantes et show off soient reléguées au second plan pendant un certain temps, tout comme les trophées hors de prix, à moins qu’ils ne soient conservés en catimini.
À l’inverse, comme les gens passent beaucoup plus de temps chez eux, cela pourrait favoriser les œuvres d’art avec lesquelles on a vraiment envie de vivre, par opposition aux pièces que l’on achète et envoie directement dans un stockage. Il pourrait y avoir un retour à des œuvres de dimensions plus raisonnables et faciles à accrocher chez soi, les peintures en tête, à des pièces rassurantes et apaisantes, et même, si j’ose dire, décoratives !
IL POURRAIT Y AVOIR UN RETOUR À DES ŒUVRES FACILES À ACCROCHER CHEZ SOI, RASSURANTES ET APAISANTES, ET MÊME, SI J’OSE DIRE, DÉCORATIVES !
Je pense que ce retour à une certaine forme de sécurité bénéficiera inévitablement à des noms bien établis, validés par le marché et les institutions, car vouloir faire un bon investissement est, et ce n’est pas déraisonnable, quelque chose que la plupart des collectionneurs ont caché parmi la multitude de leurs motivations – d’autant plus s’ils constatent que d’autres investissements sont partis en fumée. Dans ce contexte, qu’en est-il de l’art qui documente la crise ? Les collectionneurs peuvent vouloir acquérir des œuvres que les artistes ont réalisées pendant leur confinement forcé, afin de conserver un témoignage de ces jours mémorables.
Enfin, pour être plus positive, je m’attends à voir de solides ventes d’œuvres d’art pour soutenir la lutte contre le Covid-19, qui permettent aux acheteurs de faire rimer collection et bonne action. Partout dans le monde, des commissaires-priseurs, des galeristes et des artistes proposent des œuvres, soit dans des ventes aux enchères caritatives dédiées, soit dans le cadre de ventes privées. Parmi les exemples figurent Phillips Auction4NY, la Viewing Room dédiée aux œuvres caritatives de Frieze New York et de nombreuses autres initiatives. Une bonne raison d’acheter encore de l’art, mais en ayant la conscience tranquille en ces temps agités.