L’enjeu était de taille pour les ventes du soir de Sotheby’s, entièrement en ligne et retransmises en direct depuis Hongkong, Londres et New York, pendant quatre heures et demie exténuantes le 29 juin. Il s’agissait en effet du premier test majeur du marché de l’art international haut de gamme depuis la pandémie de Covid-19.
LE NIVEAU DES GARANTIES A RENFORCÉ LA CONFIANCE, MÊME SI CERTAINES AVAIENT ÉTÉ ACCORDÉES AVANT LA CRISE
Alors que le personnel fatigué comptabilisait le total des adjudications, Sotheby’s se félicitait à juste titre de son succès : les ventes ont atteint le chiffre remarquable de 363,2 millions de dollars (avec les frais), se situant ainsi dans la fourchette haute des estimations d’avant la vente – de 262,1 à 368,4 millions de dollars (sans les frais). De nombreuses œuvres ont obtenu de bons résultats, notamment Royal Fireworks, une toile flamboyante de couleur orange datant de 1975 et peinte par Helen Frankenthaler, l’un des 18 lots en provenance de la collection Ginny Williams, qui a ouvert la soirée. La toile a pulvérisé son estimation de 2 à 3 millions de dollars pour atteindre 7,9 millions de dollars (avec les frais), plus du double du record précédent de l’artiste.
Tout dans cette vacation était innovant. Première grande vente du soir à se dérouler exclusivement en ligne, elle a mis en vedette l’auctioneer Oliver Barker, filmé à Londres, présentant seul dans un stand incurvé les offres sur des écrans. Sur ces derniers, les spécialistes présents dans les trois villes, espacés sur des gradins, lui signalaient leurs offres ; les enchérisseurs en ligne étaient également actifs.
Les trois ventes, tenues consécutivement, comprenaient les œuvres de la collection Ginny Williams, garanties à 100 % (9 lots ont également reçu des offres irrévocables de dernière minute), suivies de 30 lots d’art contemporain, avant 28 œuvres d’art impressionniste et moderne. Globalement, 93,2 % des lots ont trouvé preneur et la vente a battu le record pour une œuvre d’art offerte en ligne à deux reprises : Garden Party de Joan Mitchell (1961-1962) a atteint 7,9 millions de dollars et Untitled (1982) de Jean-Michel Basquiat, 15,2 millions de dollars (les estimations avant la vente n’incluent pas les frais, contrairement aux résultats).
Dans la section d’art contemporain, le moment le plus étrange a été la bataille pour le lot phare de la soirée, Triptych Inspired by the Oresteia of Aeschylus (1981) de Francis Bacon, une œuvre majeure vendue par le Norvégien Hans Rasmus Astrup. Après que le montant de 60 millions de dollars a été atteint, un enchérisseur chinois est apparu, multipliant les enchères par paliers de 100 000 dollars seulement et ralentissant la vacation jusqu’au rythme d’un escargot agonisant. Il a fallu 10 minutes avant que l’œuvre ne soit adjugée à Grégoire Billault, de Sotheby’s, pour 74 millions de dollars (84,55 millions de dollars avec les frais, mais sur une estimation de 60 à 80 millions de dollars). Selon le Baer Faxt, la newsletter de référence du marché de l’art, l’œuvre n’était pas fraîche sur le marché. Elle avait été proposée à la vente à plusieurs reprises ces dernières années, initialement à 120 millions de dollars.
Ce fut une bonne soirée pour les femmes artistes, avec de nouveaux records pour Vija Celmins, Leonor Fini, Helen Frankenthaler et Alice Rahon, et pour les œuvres de la collection Hunk et Mary Anderson. Dix compositions abstraites réunies par l’homme d’affaires ont rapporté 66,3 millions de dollars, dont un rare Clyfford Still, PH-144 (1947-Y-No.1) (1947), adjugé à 28,7 millions de dollars. Le portrait bleu vif sur papier Untitled (Head) de Jean-Michel Basquiat a dépassé son estimation pour atteindre 15,2 millions de dollars avec les frais, tandis que White Brushstroke1 (1965) de Roy Lichtenstein a été vendu 25,4 millions de dollars, dans la fourchette basse de son estimation de 20 à 30 millions de dollars. Et l’une des surprises de la soirée a été le solide résultat obtenu par Matthew Wong, le peintre autodidacte canadien dont Realm of Appearances (2018) a ouvert la partie contemporaine de la soirée. L’œuvre a dépassé son estimation de 60 000 à 80 000 dollars pour partir à 1,82 million de dollars. Matthew Wong s’est suicidé l’année dernière et son travail est aujourd’hui très recherché.
La dernière section consacrée aux œuvres d’art impressionniste et moderne était plus faible, mais elle a atteint son objectif à 62,8 millions de dollars. La Tête de femme endormie (1934) de Picasso a été adjugée 11,2 millions de dollars (est. de 9 et 12 millions de dollars). Heureusement, 10 des 11 œuvres d’art surréaliste et moderned’Amérique latine, réunies sous le titre « The Vanguard Spirit », ont augmenté le total, générant 26,6 millions de dollars et établissant cinq nouveaux records dans cette catégorie.
La vente qui était observée de près, a envoyé des signaux encourageants, et ce à plusieurs niveaux. Premièrement, elle a montré que les ventes exclusivement en ligne pouvaient rencontrer du succès, et Oliver Barker doit être félicité d’avoir apporté énergie et vigueur à ce qui aurait pu être une longue et morne soirée. Elle a ensuite prouvé que la pandémie de Covid-19 n’a pas asséché la demande d’œuvres d’art et qu’il y a encore des enchérisseurs déterminés. Enfin, le niveau des garanties a renforcé la confiance, même si certaines avaient été accordées avant la crise. Néanmoins, le total de 363,2 millions de dollars est loin des résultats d’il y a tout juste un an, lorsque la seule vente du soir d’art contemporain de Sotheby’s, le 16 mai 2019 à New York, avait rapporté presque le même montant, 341,8 millions de dollars. Aussi, si feu d’artifice il y eut, il s’inscrit dans la« nouvelle normalité » d’un marché de l’art touché par la pandémie.