Parmi les bienfaiteurs de l’impressionnisme, François Depeaux (1853-1920) est loin d’être le plus connu. Ce magnat du charbon a pourtant possédé des œuvres majeures du mouvement, près de 600 tableaux et dessins, dont soixante œuvres de Sisley, vingt de Monet, des Renoir et des Pissarro dispersés aujourd’hui aux quatre coins du monde. Au-delà des chiffres, cet homme d’affaires hors pair fut un soutien sans faille pour des artistes qui avaient peine à vendre leurs tableaux, comme son ami Alfred Sisley, qui ne sera reconnu qu’après sa mort…
C’est à ce mécène singulier que le musée des beaux-arts de Rouen a choisi de rendre hommage, à travers 80 toiles, dans l’une des expositions phares du festival Normandie Impressionniste. « Ce n’est pas un petit collectionneur, annonce en préambule Sylvain Amic, directeur des musées de Rouen Métropole Normandie et commissaire avec Joanne Snrech de l’exposition. C’est un homme qui a mis dans sa collection une énergie folle avec la conviction de voir des chefs-d’œuvre naître sous ses yeux ».
DANS LA COLLECTION DEPEAUX COMME DANS L’ACCROCHAGE, SISLEY OCCUPE UNE PLACE À PART
Notable de Rouen et exploitant d’une mine de charbon à Swansea, au Pays de Galles, François Depeaux commence sa collection à la fin des années 1880. La première vague des « découvreurs » de l’impressionnisme est passée mais l’industriel se jette dans sa quête de tableaux en défricheur insatiable. Ses premières prises sont prestigieuses : deux peintures de Sisley achetées chez Durand-Ruel en 1892, un Pissarro la même année et l’imposante Danse à Bougival de Renoir, acquise en 1894 et aujourd’hui conservée à Boston. Les deux commissaires ont choisi d’ouvrir l’exposition par les icônes de la collection de François Depeaux, dont deux Monet, La Rue Saint-Denis, pavoisée de drapeaux tricolores, et l’une des cathédrales de Rouen de la célèbre série, la première vendue par le peintre. Dans la collection Depeaux comme dans l’accrochage, Sisley occupe une place à part. Il est son préféré, « celui dont la peinture contient le plus de poésie et qui continuera à être le mieux compris », écrit le philanthrope à Paul Durand-Ruel en 1909.
Sans jamais perdre de vue le fil rouge de la personnalité de François Depeaux, l’accrochage met en valeur les épisodes clefs de sa vie de mécène. Acquéreur hyperactif, François Depeaux a vite étendu sa fièvre acheteuse et ses intérêts aux artistes impressionnistes locaux, la future École de Rouen. « Après les grandes acquisitions des années 1890, François Depeaux se tourne vers le soutien à la création émergente et précisément vers la jeune génération de l’École de Rouen, expliquent les commissaires. Il décide même de promouvoir l’impressionnisme à l’étranger en organisant une grande exposition à Swansea, au Pays de Galles, en 1914, pour présenter les artistes rouennais de sa collection. » Joseph Delattre, Charles Frêchon, Albert Lebourg et Robert Pinchon figurent donc en bonne place parmi les Monet, Sisley ou Renoir, dans un parcours qui établit une forme d’équivalence rare entre les « grands » impressionnistes et leurs disciples de Rouen, peu connus du grand public.
Les réussites alternent avec les revers de fortune. En 1906, en pleine procédure de divorce, François Depeaux est obligé de se séparer de ses toiles. Plus de 250 tableaux sont vendus lors d’enchères ubuesques, au cours desquelles il parvient à racheter 55 de ses propres œuvres. Trois ans plus tard, il peut enfin faire au musée des beaux-arts de Rouen la donation à laquelle il rêve depuis quelques années, d’un ensemble de 53 œuvres. « Je n’ai pu m’empêcher de concevoir une légitime joie à la pensée que bientôt Rouen n’aurait plus à envier à Paris sa riche collection », déclare alors le maire de la ville normande. « Il faut imaginer qu’en 1909, l’impressionnisme n’est encore visible qu’au musée du Luxembourg et au musée du Louvre. Impossible en régions de découvrir les artistes de ce mouvement », précise Sylvain Amic. Le musée des beaux-arts inaugurera bientôt sa propre « grande galerie » entièrement consacrée aux tableaux de François Depeaux. Pour que cette collection fasse de Rouen une étape décidément incontournable de l’impressionnisme.
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« François Depeaux, l’homme aux 600 tableaux », jusqu’au 15 novembre, Musée des beaux-arts de Rouen, Esplanade Marcel Duchamp, 76000 Rouen.
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NOTRE SÉLECTION PARMI LES EXPOSITIONS DU FESTIVAL NORMANDIE IMPRESSIONNISTE À ROUEN
Antonin Personnaz, un photographe impressionniste :
La place d’Antonin Personnaz,grand collectionneur de l’impressionnisme et photographe amateur au sein du mouvement, est mise en valeur dans une exposition inédite du musée des beaux-arts de Rouen. La sélection mêle témoignages de peintres travaillant sur le motif et clichés visionnaires.
Léon-Jules Lemaître, par les rues de Rouen :
Première monographie consacrée à Léon-Jules Lemaître, cet accrochage du musée des beaux-arts réunit un ensemble qui témoigne de l’évolution du peintre, élève prometteur de l’école de dessin de sa ville et admirateur des premiers impressionnistes, avant de devenir une figure clef de l’École de Rouen.
Claire Tabouret et Jean-Baptiste Bernadet :
En écho à l’ouverture à la création contemporaine de ce 4e festival Normandie Impressionniste, le musée des beaux-arts de Rouen expose des peintures récentes des artistes Claire Tabouret et Jean-Baptiste Bernadet, liées à l’esthétique impressionniste par un travail autour de la touche et de la couleur.
L’herbier secret de Giverny :
Conçue par Sylvain Amic et le botaniste Marc Pignal, cette exposition du Museum d’histoire naturelle de Rouen aborde sous un angle méconnu un Monet botaniste, en faisant dialoguer des toiles du peintre et de Blanche Hoschedé-Monet, et des planches d’herbier récoltées à Giverny dans les années 1890 par son beau-fils, Jean-Pierre Hoschedé.
Camille Moreau-Nélaton, une femme céramiste au temps des impressionnistes :
Reconnue de son vivant pour son style très personnel et sa technique hors pair, Camille Moreau-Nélaton (1840-1897) est mise à l'honneur dans une exposition du musée de la Céramique, la première consacrée à l’artiste. L’institution revient sur son statut particulier de femme artiste amateure, issue de la bourgeoisie, à travers une cinquantaine de pièces dont certaines, issues de collections privées, n’ont jamais été montrées.
=> EXPOSITIONS JUSQU’AU 15 NOVEMBRE
Musée des beaux-arts de Rouen, Esplanade Marcel Duchamp, 76000 Rouen.
Muséum d’histoire naturelle, 198 rue Beauvoisine, 76000 Rouen.
Musée de la Céramique, 1 rue Faucon, 76000 Rouen.