Le nouveau livre intitulé iBauhaus: The iPhone as the Embodiment of Bauhaus Ideals and Design, de Nicholas Fox Weber, fait le rapprochement entre deux géants de l’histoire du design : l’école du Bauhaus et la multinationale Apple. L’auteur soutient que l’école d’art fondée en 1919 à Weimar a ouvert la voie à l’iPhone, le smartphone qui a envahi notre quotidien depuis son lancement par Apple en 2007. En tant que directeur de la Fondation Josef et Anni Albers, et ami de longue date de ce couple d’artistes, Nicholas Fox Weber bénéficie d’un point de vue privilégié sur ce sujet. « Dans les années 1970, je me suis nourri des valeurs du Bauhaus à la source, écrit-il dans son livre. J’ai fait le lien entre deux grandes époques de modernisation de la civilisation… Je crois qu’Anni et Josef estimeraient que l’iPhone correspond à leurs convictions les plus profondes sur l’étoffe de l’existence humaine. » Il répond à nos questions sur le lien qui unit, selon lui, le fondateur du Bauhaus Walter Gropius et le visionnaire d’Apple Steve Jobs.
Votre thèse est fascinante. Réfléchissez-vous à cette question depuis plusieurs années ?
J’adore réfléchir à l’origine des thèmes de réflexion. Lee Eastman, un avocat renommé du monde de l’art qui était l’une de mes personnes préférées – original, gentil, respectueux des autres et brillant – m’a un jour parlé d’un cas qu’il n’arrivait tout simplement pas à résoudre, bien qu’il y pensât tout le temps. Puis, il prit des vacances, après avoir dit à sa femme qu’il n’avait pas le temps d’en prendre compte tenu de sa charge de travail. Le couple pique-niquait dans la campagne, en Provence. Il regardait ce magnifique paysage quand, venue de nulle part, l’idée parfaite lui est apparue, en un éclair ; plus tard, il a remporté le procès en question. Je me souviens d’une fois où je me sentais un peu coupable de jouer au tennis au beau milieu d’une journée de travail – j’avais pris une leçon auprès d’un ami fantastique, Camerounais, un grand pro – et, alors que je travaillais mes coups droits, l’idée m’est venue d’un ouvrage sur le Bauhaus en plusieurs parties, qui est devenu The Bauhaus Group. Il a semblé surgir entre les échanges de balles, et j’aimerais penser qu’une fois ce livre apparu dans ma tête, j’ai décoché un excellent coup droit, comme on me l’avait enseigné.
UN BON DESIGN, INNOVANT, DONT LA FORME EST AU SERVICE DE LA FONCTION
Que s’est-il passé ensuite?
Pour iBauhaus, l’idée qu’Anni et Josef [Albers] auraient adoré l’iPhone devait traîner dans ma tête depuis longtemps. Quand ils évoquaient les valeurs du Bauhaus, ils parlaient de l’essence de cet objet qui est devenu présent dans le monde entier : un bon design, innovant, dont la forme est au service de la fonction. Mais je n’avais pas pensé que cela pouvait faire l’objet d’un livre jusqu’à ce qu’un jour je déjeune au Met avec John Eastman, le fils de Lee – comme son père, un brillant avocat, de Willem de Kooning et d’autres, et aussi un esprit très ouvert. Je lui ai parlé de mon point de vue selon lequel l’iPhone réalisait l’un des rêves du Bauhaus. La réponse de John fut immédiate : « C’est un livre, Nick ! » Je ne l’avais pas vu sous cet angle, mais c’est arrivé suffisamment tôt.
Vous dites dans votre ouvrage que cette analyse montre « comment l’iPhone incarne certains objectifs et valeurs de l’école d’avant-garde [Bauhaus] qui a brièvement éclos en Allemagne lors d’une période de progrès exceptionnels entre deux guerres mondiales ». Est-ce là le postulat ?
C’est effectivement le propos central, de même que l’idée d'un design au service des autres, davantage axé sur une diffusion à grande échelle qu’à la gloire de son créateur, ce qui relève du grand art.
L’un de ces pionniers en sort-il grandi ? Le cofondateur d’Apple, Steve Jobs ? Le fondateur du Bauhaus, Walter Gropius ?
Steve Jobs, certainement. Tous deux étaient de grands entrepreneurs et avaient beaucoup à dire. Mais, je suis heureux de ne pas avoir dû me confiner avec aucun d’entre eux durant la crise sanitaire du Covid-19.
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Nicholas Fox Weber, iBauhaus: The iPhone as the Embodiment of Bauhaus Ideals and Design, éd. Knopf, 272 pages, 27,95 dollars.