Vous dirigez depuis bientôt trois ans l’École de design et haute école d’art du Valais (EDHEA). Vous avez également codirigé avec Olivier Kaeser le Centre culturel suisse, à Paris, pendant dix ans. Cette année, vous êtes le directeur artistique de la 5e édition du Verbier Art Summit (VAS), qui se déroule de manière virtuelle, pandémie oblige. Comment avez-vous rejoint cette plateforme de débats sur l’art ?
Je suis depuis longtemps en contact avec Anneliek Sijbrandij, l’historienne d’art à l’initiative de ces rencontres, et qui vit à Verbier. Je suis originaire du Valais et dirige l’EDHEA, à Sierre. Elle me consulte donc régulièrement. Même si elle vient d’un milieu qui n’est pas vraiment le mien, il faut reconnaître la force de frappe assez extraordinaire de son réseau. Depuis 2017, son organisation a invité dans les Alpes valaisannes Rem Koolhaas, Olafur Eliasson, Ed Atkins ou Tino Seghal. Cela dit, à mon sens, le VAS entretient encore trop peu de rapports avec ce qui se passe en Valais. J’avais déjà conseillé à ses organisateurs d’intégrer davantage la population du canton, au-delà de celle qui vit dans la station. J’avais, par exemple, proposé que Latifa Echakhch, qui résidait alors à Fully (non loin de Verbier), participe au Verbier Art Summit de 2019. Avec la pandémie, cet ancrage local est devenu une nécessité.
Dans quel sens ?
L’irruption du coronavirus a fortement diminué les possibilités de déplacement. L’édition 2021 se déroulera donc avec des participants qui vivent en Suisse, sous forme de sessions filmées; les débats seront ensuite diffusés gratuitement sur la plateforme du VAS. Chaque participant commence par une présentation individuelle de 20 minutes. Elle est suivie d’une rencontre de 45 minutes, au cours de laquelle quatre intervenants au maximum débattent de la thématique retenue.
L’édition 2021 du VAS a le même intitulé que celle imaginée en2020 par Jessica Morgan, directrice de la Dia Art Foundation, à NewYork : « Avide de ressources – Notre paysage cultivé et son impact écologique». Il s’agit donc d’une réflexion autour des conséquences écologiques de l’exploitation des ressources dans le cadre de la culture. Comment avez-vous abordé cette problématique ?
Le principe du VAS est d’inviter des personnalités impliquées dans la culture au sens large. Mon idée était donc de faire en sorte qu’il n’y ait pas que des artistes autour de la table. J’ai sollicité Tom Battin, professeur en sciences environnementales à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et spécialiste du climat. Il œuvre actuellement au développement d’Alpole, un centre mondial de la recherche sur le climat qui ouvrira en 2022 à Sion. Tom Battin est aussi photographe et a brièvement enseigné à l’Académie des beaux-arts de Vienne. Il est ainsi à même de parler de la situation écologique de la planète en rapport avec l’art. J’ai également convié l’artiste vaudoise Claudia Comte, qui travaille principalement avec le bois et dont le discours est lié à la sauvegarde des écosystèmes, qu’il s’agisse des forêts ou des fonds marins.
Hedy Graber, directrice du Pour-cent culturel Migros, et Madeleine Schuppli, responsable du pôle art visuel de Pro Helvetia, sont les deux autres intervenants. Pourquoi avoir convié ces deux représentantes d’institutions, l’une privée, l’autre publique, certes très impliquées dans la vie culturelle suisse ?
Parce que la puissance de la première est si considérable qu’on la surnomme parfois « le ministère suisse de la Culture » et que la seconde gère des budgets également très importants. L’impact des choix faits par ces institutions et des décisions qu’elles prennent est donc gigantesque à l’échelle du pays. Toutes deux mettent aussi en place des projets majeurs autour de l’écologie. Cela m’intéresse de voir si leurs initiatives vont au-delà du greenwashing habituel, si leurs réflexions sur la durabilité sont profondes ou, à l’inverse, se limitent à des effets de surface. De plus, Hedy Graber, Madeleine Schuppli et Claudia Comte sont actives sur la scène artistique depuis longtemps. Elles savent que le curseur bouge rapidement et que les points sociétaux auxquels les artistes sont très attachés aujourd’hui ne seront pas les mêmes demain. Surtout en cette période de pandémie. Une nouvelle génération va apparaître, pour qui l’envie de créer ne sera pas nécessairement motivée par la défense de l’environnement ou par le mouvement Black Lives Matter. L’art doit rester libre à l’égard des discours ambiants. J’ai aussi envie de les écouter sur ce sujet.
« Le principe du VAS est d’inviter des personnalités impliquées dans la culture au sens large. Mon idée était de faire en sorte qu’il n’y ait pas que des artistes autour de la table. »
La durabilité, l’écologie… Ces thèmes doivent être parlants pour vous, qui venez d’un canton comme le Valais, situé au cœur de la nature ?
C’est une problématique qui me préoccupe bien entendu, comme tout le monde. Les montagnes, les stations de ski, la nature sont une réalité de ce canton, mais participent également de son cliché. On parle beaucoup moins, en revanche, du développement urbain de la vallée, qui progresse pourtant à vitesse grand V. La relation entre ces deux phénomènes et la manière de concilier urbanisme galopant et protection du milieu naturel m’intéressent davantage.
Si on le compare aux cantons de Genève et de Vaud, le Valais connaît un dynamisme académique et culturel sans précédent. Comment expliquer cet enthousiasme ?
Le Valais a été pendant longtemps le canton que l’on quittait pour faire ses études. Il ne comprenait pas d’université et peu de lieux consacrés à l’art. Tout a changé avec le développement urbain de la ville de Sion, notamment à travers le plan directeur du quartier Ronquoz 21, que les architectes Herzog & de Meuron et le paysagiste Michel Desvigne ont programmé sur trente ans, et l’arrivée du campus Energypolis. Celui-ci, qui regroupera l’EPFL et cinq hautes écoles du Valais (dont une en ingénierie et une en santé), bénéficie d’un budget de création de 400 millions de francs suisses (3710000 euros). La région met les moyens pour nourrir ses ambitions. Elle consacrera aussi 35 millions de francs (32,5 millions d’euros) à la réalisation du nouveau bâtiment de l’école que je dirige, dont le concours sera lancé prochainement pour une inauguration en 2025. Sur le plan artistique, à Sion, Anne Jean-Richard Largey, récemment nommée à la direction de la Ferme-Asile, et Céline Eidenbenz, directrice du musée cantonal des Beaux-Arts, sont des personnes actives avec lesquelles je collabore. De mon côté, j’ai prévu d’inclure au programme de la future école un espace d’exposition qui fonctionnera comme une mini-Kunsthalle.
Vous êtes également le commissaire de l’exposition insitu qui se tient chaque été au barrage de Mauvoisin, dans le val de Bagnes, lieu qui abrite la seule installation permanente du land artiste Michael Heizer en Europe. Après Valentin Carron en 2020, quel artiste avez-vous sollicité pour 2021 ?
Pauline Julier, une artiste genevoise que j’avais exposée au Centre culturel suisse, à Paris, et à la Biennale de Santiago, au Chili, en 2019. Son travail en lien avec l’anthropocène est parfaitement adapté à ce lieu fortement imprégné de montagne et de nature. Pour 2022, j’ai choisi le Français Dove Allouche, dont l’intérêt vis-à-vis du minéral et de la géologie rejoint idéalement ce contexte alpin.
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Verbier Art Summit 2021, 29 - 30janvier 2021.