Le ministère de la Culture a dévoilé, le 12 mars, son programme très attendu pour défendre les intérêts des artistes-auteurs. Parmi les quinze mesures annoncées, l’une s’adresse plus spécifiquement aux plasticiens en promettant de « faire aboutir les travaux en cours concernant la rémunération du droit d’exposition des artistes par les musées et les FRAC ». Payer les plasticiens quand leurs œuvres sont exposées ? L’idée n’est a priori ni capricieuse ni vraiment révolutionnaire : les musiciens sont payés quand ils jouent leurs œuvres en public et les réalisateurs perçoivent de l’argent à chaque extrait de film diffusé. Dans la même logique, le droit d’exposition permet aux artistes d’être rémunérés lorsque leurs œuvres sont exposées, selon l’article 122-2 du code de la propriété intellectuelle.
Inscrit dans la loi, il a pourtant longtemps été ignoré par les institutions aussi bien privées que publiques. « En contrepartie de la visibilité et de la promotion dont ils bénéficient, les plasticiens sont régulièrement sollicités pour renoncer à leurs droits d’auteur en général et à leur droit d’exposition en particulier », explique Marie-Anne Ferry-Fall, directrice de l’ADAGP, qui gère les droits des artistes graphiques et des plasticiens. « On considère qu’un artiste vit essentiellement de la vente de ses œuvres, que c’est son revenu principal. Mais c’est loin d’être aussi simple », poursuit-elle, évoquant une « omerta sur le sujet ».
ON CONSIDÈRE QU’UN ARTISTE VIT ESSENTIELLEMENT DE LA VENTE DE SES OEUVRES
En pratique, de nombreux malentendus nuisent au respect du droit d’exposition : la confusion fréquente avec les honoraires de production ou avec les défraiements permettant la présence de l’artiste, les tracasseries administratives supplémentaires… Autant de freins qui peuvent encourager des « économies faites sur les rémunérations des artistes, précise Marie-Anne Ferry-Fall. On peut s’interroger sur le fait de savoir si la diffusion de la culture ne se fait pas au détriment de ceux qui créent cette culture : il y a aujourd’hui toujours plus d’expositions mais toujours moins de droits pour chaque artiste. »
En décembre 2019, le ministère de la Culture, alors sous la responsabilité de Franck Riester, avait pourtant fait un premier pas en faveur du droit d’exposition, en établissant un minimum plancher au bénéfice des artistes dans le cadre d’expositions d’œuvres dans les lieux subventionnés par l’État. Le barème retenu fixe à 1 000 euros la rémunération de l’artiste pour une exposition monographique, à 100 euros pour tout artiste dont une œuvre au moins est présentée dans le cadre d’une exposition collective, quelle que soit sa durée, ainsi que 3 % sur la billetterie si les recettes dépassent le minimum de rémunération garanti.
Des montants « indécents » pour Jean-Marc Bourgeois, plasticien et secrétaire général SMdA-CFDT (syndicat Solidarité Maison des artistes). « Ce ne sont de plus que des recommandations de la part du ministère de la Culture, qui n’ont aucun pouvoir coercitif. Autant dire que nous pouvons malheureusement attendre encore longtemps l’application du droit d’exposition », précise l’artiste, qui plaide pour une adaptation de ce barème en fonction du lieu, du type et de la durée de l’exposition ou des coûts de production, et surtout en prenant en considération les avis des premiers intéressés, les créateurs.
ON PEUT S’INTERROGER SUR LE FAIT DE SAVOIR SI LA DIFFUSION DE LA CULTURE NE SE FAIT PAS AU DÉTRIMENT DE CEUX QUI CRÉENT CETTE CULTURE
Ces demandes seront-elles prises en compte au cours des fameux « travaux en cours » sur le droit d’exposition annoncés par Roselyne Bachelot ? Pour les dernières mesures annoncées mi-mars, les artistes n’ont pas été invités à la table des négociations au ministère de la Culture, qui n’a retenu qu’une partie des propositions du rapport de Bruno Racine visant à améliorer la situation des créateurs, L’auteur et le droit de création, remis en janvier 2020. « Dans les dernières annonces du ministère de la Culture, nous lisons la victoire des organismes et institutions qui souhaitent ardemment que rien ne change, pour conserver leur pré carré, leur pouvoir », dénonçait dans Le Monde ce 17 avril un collectif d’auteurs et de plasticiens. « Le droit d’exposition aurait mérité une vraie discussion entre les artistes et leurs diffuseurs », regrette Jean-Marc Bourgeois. Et d’ajouter : « Cette question du droit de représentation publique reflète le problème plus général de la rémunération des artistes-auteurs, qui sont des travailleurs comme les autres et demandent que leur travail soit reconnu à leur juste valeur ».
Une enveloppe dont le montant n’a pas été annoncé doit être débloquée par le ministère de la Culture pour soutenir l’application du droit d’exposition dans les lieux d’art subventionnés. Pour Marie-Anne Ferry-Fall, il s’agit avant tout de responsabiliser les organisateurs d’expositions. « Nous travaillons avec le ministère de la Culture et les directeurs des Fonds régionaux d’art contemporain pour essayer de faire en sorte que les institutions réorientent certaines lignes budgétaires vers les artistes, notamment grâce à cette enveloppe complémentaire », confie-t-elle. Reste à attendre la réouverture des lieux culturels et le retour des expositions pour savoir si ces bonnes intentions seront suivies d’actions concrètes.