Derrière la sage façade haussmannienne du 11 avenue Mac-Mahon, dans le 17e arrondissement de Paris, rien ne laisse deviner des chambres d’hôtel envahies par des lignes et des couleurs qui débordent sur les murs, les portes et les couloirs. À quelques pas de la place de l’Étoile, cet ancien hôtel autrefois prisé par les touristes sert depuis un mois de lieu de création à trente-trois dessinateurs et dessinatrices, âgés de 26 à 50 ans. La « Drawing Factory » est la dernière initiative de l’équipe du Drawing lab, qui s’est associée au promoteur immobilier Soferim, son partenaire de longue date, et au Centre national des arts plastiques (Cnap) pour lancer cette résidence inédite prévue pour durer jusqu’au 20 septembre. «En réfléchissant à la structure du bâtiment et à ses petites cellules individuelles, nous avons immédiatement pensé à une résidence d’artistes, autour du dessin évidemment», confie Christine Phal, fondatrice du Drawing Lab (Paris) et présidente de la foire Drawing Now, qui se décrit volontiers comme une « monomaniaque » du dessin contemporain.
UNE RÉSIDENCE INÉDITE PRÉVUE POUR DURER JUSQU’AU 20 SEPTEMBRE
Au total, 400 dossiers ont été examinés par un jury composé de Christine Phal, Sandra Hegedüs (fondatrice de SAM Art Projects et collectionneuse), Florentine Lamarche-Ovize (artiste), Juliette Pollet (responsable de la collection arts plastiques du Cnap), Béatrice Salmon (directrice du Cnap), Guillaume Dégé (artiste) et Philippe Piguet (critique d’art et commissaire d’exposition). Deux plasticiens invités par le Drawing Lab se sont ajoutés au collectif de 31 créateurs choisis avec le Cnap, qui prend en charge une bourse de 500 euros par mois et par artiste pour les dépenses quotidiennes, ainsi que le loyer de 180 euros par mois pour chaque atelier.
Parmi les résidents, sélectionnés au sein de la scène française, près de la moitié est représentée par des galeries. « L’idée était que cette communauté, composée d’artistes émergents et d’autres plus installés, puisse développer ses réseaux ensemble », explique Christine Phal, qui défend à travers cette résidence la diversité du dessin actuel, par la coexistence de générations différentes mais aussi par la multiplicité des pratiques et des supports : « Nous avons veillé à choisir des artistes qui travaillent la bande dessinée, le numérique, le textile ou le dessin plus classique. Nous souhaitons donner à voir le dessin contemporain dans sa définition la plus large ».
Rares sont les résidents qui se cantonnent à une seule discipline, au sein de la Drawing Factory. Chloé Poizat présente une vidéo aussi hypnotique que les motifs organiques de ses dessins au fusain; Benjamin Laurent Aman mêle à l’art graphique la musique et l’installation; Raphaëlle Peria utilise la photographie comme support de dessins qui émergent grâce à une technique de grattage; le duo formé par Pauline Martinet et Zoé Texereau crée des patchworks colorés issus de dessins hyperréalistes, eux-mêmes réalisés à partir de photographies… Audrey Matt Aubert partage quant à elle son activité entre la peinture et le dessin. Dans son atelier donnant sur cour, l’artiste réalise au graphite des architectures imaginaires inspirées de la NASA, du land art et des Villes invisibles d’Italo Calvino. Le livre traîne sur sa table de travail, à proximité de fleurs séchées et d’estampes japonaises. Juste à côté, chambre 25, Juliette Green couvre les murs d’un diagramme fléché géant, qui mêle l’écriture et le dessin pour raconter une histoire en perpétuelle construction. La jeune artiste, qui partage son temps entre ce nouvel atelier et ses études aux Beaux-Arts de Paris, voit dans la Drawing Factory « un beau lieu de rencontre pour les artistes » et l’occasion de participer à une « résidence multigénérationnelle ».
NOUS SOUHAITONS DONNER À VOIR LE DESSIN CONTEMPORAIN DANS SA DÉFINITION LA PLUS LARGE
UN BEAU LIEU DE RENCONTRE POUR LES ARTISTES, UNE RÉSIDENCE MULTIGÉNÉRATIONNELLE
Sur les 1 500 m2 mis à disposition sur cinq niveaux, un espace commun a été prévu au rez-de-chaussée pour organiser des conférences et réunir les artistes autour d’ateliers collectifs. Covid-19 oblige, tous travaillent sans savoir quand les projets en cours pourront être exposés au public. « Cette résidence intervient à une période où les artistes ont particulièrement besoin de visibilité », souligne Christine Phal, qui précise que des visites professionnelles et publiques seront organisées pour mettre le travail des résidents en valeur, en fonction de l’évolution des restrictions sanitaires. Pour pallier l’absence d’expositions, l’équipe du Drawing Lab a lancé en mars l’opération « Printemps du dessin » qui comprend jusqu’en juin des ateliers, des conférences et des rencontres avec des artistes. Mais l’événement le plus attendu est la 14e édition de la foire Drawing Now, qui fera son retour du 10 au 13 juin dans une version alternative et allégée. Le salon quittera le Carreau du Temple pour s’installer rue du Faubourg Saint-Antoine, dans un ancien grand magasin qui réunira une quarantaine de galeries, contre 71 en 2019. Quant à la Drawing Factory, elle deviendra plus tard un hôtel Drawing Collection.