Au début de l’aventure KADIST, il y a une histoire de famille. « Ce qui a germé lors de la création, c’est la volonté d’inscrire dans une fondation philanthropique, déjà investie dans le domaine de l’action sociale, une dimension art et culture, confie Sandra Terdjman, commissaire indépendante et cofondatrice de KADIST. L’impulsion initiale est née du désir de donner des moyens pour soutenir les artistes. KADIST s’inscrit dans une histoire familiale, où l’art a toujours fait partie d’un héritage culturel, depuis des générations. » Comme souvent à Paris, tout commence dans un café, au cours d’une conversation avec Vincent Worms, oncle de Sandra Terdjman, président et cofondateur de KADIST. Mise en place en 2001, l’organisation à but non lucratif mène depuis 2019 ses activités sous l’égide d’un fonds de dotation.
En 2006, KADIST inaugure une exposition consacrée à l’artiste cubain Wilfredo Prieto dans son premier espace – rénové et agrandi en 2020 – à Montmartre, dans le 18e arrondissement de Paris. Son acte de naissance officiel. KADIST devient dès lors un lieu public, identifié sous ce nom – anagramme de TSADIK, la fondation familiale créée dans les années 1990, qui signifie « le Juste » en hébreu. Plus qu’un nom, un programme : insérer la culture dans un engagement sociétal et, ce faisant, promouvoir la « justice sociale ». Une seconde antenne à San Francisco, aux États- Unis, a ouvert en 2011.
Au commencement était la collection
« Inscrire une œuvre dans une collection a toujours été la philosophie, l’ADN de KADIST, poursuit sa cofondatrice. À partir d’une acquisition, nous invitons un artiste en résidence, nous le soutenons pour la création de nouvelles pièces. La collection a commencé à être constituée entre 2000 et 2006. Nous avons acquis durant cette période une meilleure connaissance du paysage international de l’art contemporain. Nous nous sommes entourés de conseillers tels que : Jean-Marc Prévost, conservateur et directeur du Carré d’Art – musée d’Art contemporain, à Nîmes ; Rozenn Prat, historienne d’art ; Jeremy Lewison, commissaire d’exposition et ancien directeur des collections à la Tate, à Londres… » À ce jour, une vingtaine de commissaires indépendants ou directeurs d’institutions internationales sont membres permanents du comité d’acquisition de la collection, qui s’enrichit au rythme d’une centaine d’œuvres par an. La collection KADIST compte plus de mille six cents pièces, représentant mille artistes de cent vingt nationalités.
KADIST revendique pour credo : « L’art comme témoin des transformations sociales ». « Les artistes sont des témoins, des observateurs des bouleversements, des crises que l’on traverse, analyse Sandra Terdjman. La force de KADIST est d’avoir, depuis le début, prospecté aux quatre coins du monde. Cela constitue finalement une caisse de résonance des problématiques sociétales, qu’il s’agisse des questions, dont on parle beaucoup actuellement, d’identité, de genre et d’écologie – les guerres sont aussi très présentes. Les premières pièces que nous avons achetées, dès 2003, traitaient du 11 septembre 2001. En regardant la collection, nous pourrions établir une histoire de moments clés du début du XXIe siècle. »
Un miroir de l’histoire récente, multipliant les points d’ancrage en France, aux États-Unis, puis sur les différents continents. Constitutif de l’identité de KADIST, ce cosmopolitisme est aussi sa direction future. « La dimension très internationale, venue à la fois par les commissaires et les résidences, a permis de toujours nourrir différents points de vue, confirme Émilie Villez, directrice de KADIST, Paris. Ces échanges culturels font également la spécificité de KADIST. Par le biais des résidences, nous avons soutenu des artistes dont le travail n’avait jamais été montré en France. Les résidences de commissaires d’exposition nous ont permis de nous ouvrir, d’avoir accès à d’autres scènes. Cela a été un moteur dans la prospection internationale. Le fait que KADIST émane d’une fondation philanthropique a été un terreau favorable pour considérer un art sensible aux questions politiques et sociales ; ce que peut vouloir dire la représentation d’événements de ce type, telle la question du changement climatique, jusqu’aux artistes qui sont à proprement parler des activistes. La collection reflète une diversité de pratiques, mais qui convergent toutes vers l’idée de corréler la pratique artistique à une réflexion sur la société. »
L’ouverture au monde
Entre programmation locale et hors les murs, les expositions sont montées en collaboration avec des commissaires ou des directeurs d’autres institutions. C’est le cas de « Not Fully Human, Not Human at All », d’abord présentée au Kunstverein de Hambourg et actuellement visible à KADIST, Paris. Au second semestre 2021, le Centre d’art contemporain (CCA) de Lagos, au Nigeria, et KADIST proposeront la deuxième partie de l’exposition « Diaspora at Home », inaugurée en novembre 2019 autour des questions de mobilité et de circulation des personnes et des connaissances au sein du continent africain. Proximité culturelle et aire d’influence obligent, les expositions parisiennes se concentrent sur l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, tandis que l’espace de San Francisco se tourne davantage vers l’Asie, dont la diaspora est bien installée dans la baie californienne. Ces focus géographiques et conceptuels n’empêchent pas les équipes de dialoguer, voire de monter des projets communs. Ainsi, Dread Scott, artiste activiste afro-américain qui a réalisé un projet dans l’espace public à Baltimore avec KADIST, vient en résidence à Paris ce mois de mai.
En vingt ans d’existence, quelques jalons ont marqué la jeune histoire de KADIST : l’une des premières acquisitions de la collection, Le Noeud coulant de Jean-Luc Moulène (2004) ; Aurélien Froment, premier artiste en résidence à San Francisco (2008) ; l’exposition personnelle de Danh Vo à KADIST, Paris, faisant suite à sa résidence (2009) ; la première exposition en Chine, « KADIST – Pathways into a Collection » au Minsheng Art Museum, à Shanghai (2012) ; « A Guest Without a Host Is a Ghost », exposition dans l’espace d’art Beirut, au Caire (2014) ; « Soil and Stones, Souls and Songs », au Museum of Contemporary Art and Design, à Manille (2016) ; depuis 2017, une série de collaborations régionales en Europe, en Amérique du Nord et Amérique latine, en Asie ; l’ouverture d’un bureau à Guangzhou, en Chine (2018), suivie d’un autre à Mexico City, au Mexique (2020).
La plateforme de streaming KADIST Video Library (KVL), lancée en 2019, a été pensée comme un outil de diffusion des quelque trois cents vidéos d’artistes de la collection, à travers des expositions en ligne. L’installation et la photographie sont aussi mises en avant. En outre, KADIST a manifesté très tôt son engagement en faveur de la performance, montrant des artistes comme Alexandra Pirici, Public Movement ou Tino Sehgal.
Quid de l’avenir ?
Riche de projets, à écouter Sandra Terdjman : « Cet anniversaire n’est pas du tout l’heure du bilan. L’histoire de KADIST est flexible, en évolution, ses débuts ont également été très organiques. Il n’y a pas eu de grands plans en 2001, à l’occasion desquels nous nous serions dit que nous mettrions vingt ans à monter le projet, que nous planifierions les étapes. Cependant, il y a une cohérence – l’engagement sociétal, l’aspect multiculturel – qui ira crescendo. KADIST continuera à se développer à l’horizontale. Nous allons nous déployer à Paris, à San Francisco, au Mexique, au Moyen-Orient…, l’idée étant d’être toujours plus à l’écoute de ce qui se passe localement comme aux tendances globales. »
La présence en ligne devrait quant à elle s’intensifier. La collection est déjà visible sur le site Internet, enrichie de contenu, d’entretiens avec les artistes. Enfin, la Fondation prévoit d’ouvrir de nouveaux bureaux pour collaborer avec des institutions. Objectif : faire de KADIST une ressource, complémentaire de structures publiques, de grands musées, afin d’accueillir un public plus étendu que ne le permettent les espaces dont elle dispose. Et Sandra Terdjman de conclure : « Notre préoccupation centrale est : comment faire en sorte que ces oeuvres qui témoignent du regard porté par les artistes sur les questions de société touchent un plus large public ? C’est le challenge que nous nous sommes donné pour les vingt prochaines années. »
« Not Fully Human, Not Human at All », 9 avril-11 juillet 2021, KADIST, Paris, 19 bis-21, rue des Trois-Frères, 75018 Paris ; KADIST, San Francisco, 3295 20th Street, CA 94110, San Francisco, kadist.org