Quel bilan tirez-vous de ces sept premières années d’existence d’AWARE ?
C.M. La force d’AWARE est d’avoir réussi à créer des réseaux muséaux et universitaires, en France et à l’étranger. Aujourd’hui, des personnes de tous horizons travaillent à la diffusion de ce savoir et de l’idée que les artistes femmes ne sont pas quelques dizaines mais quelques centaines, voire quelques milliers.
Le noyau des fondatrices est composé de trois avocates, une commissaire d’exposition, une violoniste, une experte-comptable et une écrivaine : une histoire d’amitiés ?
C.M. Ce sont des formes de sororités très anciennes. Nathalie Rigal [ancienne experte-comptable] m’aide sur les questions juridiques et stratégiques de l’association. Ce projet est né de la volonté de s’intéresser à l’histoire des femmes artistes, mais aussi des femmes romancières, cinéastes et musiciennes. AWARE s’ouvrira peut-être un jour à ce dont nous avions rêvé, dans tous les domaines de la création.
Catherine Petitgas, votre arrivée en tant que présidente des Ami.e.s d’AWARE donne à l’association une dimension plus internationale. Comment envisagez-vous votre rôle ?
C.P. L’Amérique latine représente les deux tiers de ma collection, et je m’intéresse depuis longtemps aux artistes femmes – j’ai fait, avec Sarah Wilson, un master sur Orlan au Courtauld Institute of Art [Londres], et j’ai soutenu de nombreuses expositions sur les artistes femmes, notamment à la Tate. Ce qui m’a toujours attirée chez AWARE, c’est son approche très réactive à l’égard d’un projet académique. Le programme « Team » permet d’avoir des relations approfondies avec des universitaires étrangers. Et, en matière de diffusion de l’information, 40 000 à 50 000 personnes visitent chaque mois le site Internet. Je voudrais contribuer à mieux faire connaître AWARE à l’étranger, notamment aux États-Unis, en Afrique et en Asie.
Quels projets avez-vous sur le continent africain ?
C.M. Sur les territoires dont nous ne sommes pas spécialistes, nous commençons par identifier des experts, chacun pour une zone géographique : Eva Barois de Caevel, Nadira Laggoune-Aklouche, Peju Layiwola… Nous les avions réunis en 2019 lors d’un séminaire à l’issue duquel nous avions sélectionné trente artistes femmes, à propos desquelles nous avons depuis publié des textes en ligne : Bill Kouélany, Huda Lutfi, Maud Sulter… Nous leur associons des mots-clefs afin de les lier par des thématiques et de créer un appareil théorique qui manque. AWARE a aussi organisé un colloque en ligne du 13 au 16 avril.
La méthode d’AWARE a quelque chose de systématique sur les plans générationnel, territorial et thématique. Une approche presque encyclopédique ?
C.M. Je suis persuadée qu’il y a eu des artistes femmes partout, malgré les obstacles. La pulsion qui donne envie d’être artiste appartient autant aux femmes qu’aux hommes. Nous voulons montrer que ces parcours de femmes ne sont pas isolés, que tous les territoires et différentes époques en ont connu – nous avons récemment ouvert nos recherches au XIXe siècle, à travers un partenariat avec le musée d’Orsay. Je prépare actuellement une exposition sur les artistes femmes dans les années 1920 à Paris, fondée sur l’idée que la question queer y a été inventée à ce moment-là, car c’était une ville libre. Les États-Unis, à l’époque, étaient encore très puritains. Nous avons également lancé un programme sur l’identité queer, qui est piloté par Isabelle Alfonsi, à qui j’ai notamment demandé de nous signaler les artistes qui manqueraient sur notre site et d’identifier celles qui sont présentes.
Les gender studies sont nées aux États-Unis. Qu’en est-il en France aujourd’hui ?
C.M. Même si les parcours sont moins structurés en France qu’aux États-Unis, des programmes ont été créés à Sciences Po Paris, Sciences Po Lyon et à l’École nationale supérieure des beaux-arts [Paris]. Et l’École du Louvre, dont je préside le conseil d’administration, a le projet de s’ouvrir à ces questions. C’est un net progrès par rapport aux années 1980.
C.P. Jusqu’à présent, les États-Unis ont évidemment concentré l’essentiel de la recherche, autour des historiennes d’art Linda Nochlin et Amelia Jones. En Amérique latine, le mouvement est assez récent : l’exposition « Radical Woman. Latin American Art, 1960-1985 », de Cecilia Fajardo-Hill et Andrea Giunta, a été décisive. Elle a eu lieu en 2017 au Hammer Museum à Los Angeles, puis a circulé au Brooklyn Museum [New York] et à la Pinacoteca de São Paulo. Le Getty Center a financé six ou sept ans de recherche dans la région.
Il vous arrive aussi de contribuer à des expositions…
C.M. Nous avons en effet été associés à la préparation de « Radical Woman » et d’« Elles font l’abstraction », au Centre Pompidou [lire page ci-contre]. L’équipe de « Radical Woman » nous a confiés, pour le site d’AWARE, toutes les notices écrites à l’occasion. Pour « Elles font l’abstraction », nous avons travaillé en amont avec Christine Macel, comme nous l’avions fait pour l’exposition au Mamac de Nice, « Les Amazones du pop ». C’est une manière d’aider les musées et de prolonger les travaux de recherche au-delà des expositions.
C.P. AWARE a aussi co-organisé un colloque, les 19 et 20 mai au Centre Pompidou, à l’occasion d’« Elles font l’abstraction ».
AWARE est financé avec 80 % d’argent privé et 20 % d’argent public. Comment l’association fonctionne-t-elle ?
C.P. Pour ce qui concerne les financements individuels, avant de demander à un mécène de soutenir AWARE, je l’invite à faire partie de la communauté.
C.M. Nous avons des partenariats récurrents avec certaines entreprises. Notre mécène principal est le Chanel Fund for Women in the Arts and Culture, qui me permet d’avoir une équipe et des bureaux, mais il y a aussi Veuve Clicquot et la Fondation Engie. Je travaille à diversifier ce groupe d’entreprises. Nous avons également une aide exceptionnelle du ministère de la Culture en raison de la crise.
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AWARE: awarewomenartists.com