Alberto Giacometti est la star de cet été sur la Côte d’Azur. Deux lieux mettent le sculpteur à l’honneur, avec un risque de saturation, l’artiste étant particulièrement à l’affiche ces dernières années. En réalité, les deux expositions se révèlent complémentaires, avec un profil différent. Au Grimaldi Forum, à Monaco, la directrice scientifique de la Fondation Giacometti (Paris), Émilie Bouvard, a conçu « une grande monographie pour faire le tour de l’œuvre », résume-t-elle, en s’arrêtant sur ses motifs obsessionnels et ses inspirations. À la Fondation Maeght, à Saint-Paul de Vence, le photographe Peter Knapp, commissaire invité, rafraîchit le regard non seulement sur le plus illustre des Giacometti, mais braque aussi les projecteurs sur les autres membres de la famille, également créateurs. Ces expositions sont concoctées par deux fondations chacune détentrices de formidables collections.
AU GRIMALDI FORUM, LA FONDATION GIACOMETTI A RÉUNI 230 PIÈCES. IL S’AGIT DE LA RÉTROSPECTIVE LA PLUS COMPLÈTE À CE JOUR
Au Grimaldi Forum, c’est Giacometti à grande échelle. Légataire universelle de la veuve de l’artiste, Annette, la Fondation Giacometti, prêteur unique, a puisé dans une réserve de 10 000 œuvres. Elle a réuni 230 pièces, soit davantage qu’au Yuz Museum à Shanghai en 2016. Il s’agit de la rétrospective la plus complète à ce jour, au fil d’une scénographie volontairement minimaliste, très aérée et un brin froide, avec en prime un dispositif immersif autour de l’atelier.
Des sculptures, des photos, des dessins et des toiles rappellent, dans une belle section sur la nature et la montagne suisse de son enfance, qu’il fut aussi un peintre remarquable, comme son père Giovanni. Son originalité picturale culmine sans doute dans ses portraits acérés et ténébreux inspirés par ceux du Fayoum. En sculpture non plus, son œuvre ne vient pas de nulle part. Le parcours souligne ses sources majeures : l’art africain pour la Femme cuillère des années 1920, la statuaire égyptienne pour ses Femmes statiques ou en marche… Un pied dans l’héritage classique, un autre dans le XXe siècle. Grâce à de nombreux plâtres dont certains rarement sortis de la fondation, l’exposition évoque sa brève tentation pour l’abstraction et sa façon de peindre ses figures comme s’il les lacérait de couleurs. Confirmant le prisme existentialiste de Sartre sur l’artiste, ses grands personnages étirés et évanescents les plus connus – Femme de Venise, Homme qui marche – ne surgissent qu’à la fin. Visiblement, Giacometti n’a pas vraiment songé comme nombre de ses pairs à réunir l’homme et la femme, fût-ce le temps d’un baiser…
À la Fondation Maeght, à l’inverse, ce sont ses grandes Femmes, posées dans les bassins de nénuphars, qui accueillent le visiteur à l’entrée. Et c’est une autre histoire, amicale et doublement familiale, qui est ici racontée, à une tout autre échelle. Dans ce temple de la modernité dont les poignées de porte et le mobiliser de la cafétéria ont été créés par Diego, les Giacometti sont chez eux. Cette fois, les prêteurs sont multiples mais unis par leur nom : il s’agit en majorité de pièces issues des collections de la Fondation, de la galerie, d’Isabelle Maeght et d’Adrien Maeght, complétées par des prêts extérieurs dont ceux du musée des arts décoratifs (Paris), de musées ou de collectionneurs suisses, comme c’est le cas pour deux tableaux de Giovanni dépeignant ses fils Alberto et Diego enfants se baignant dans une rivière dans le plus simple appareil. « C’est la première exposition à réunir la famille Giacometti au grand complet », précise Isabelle Maeght, qui confie que « le tableau du musée d’art et d’histoire de Neuchâtel en Suisse [montrant les enfants en forêt, ndlr] n’en était pas sorti depuis trente ans » et que « cette exposition trottait dans la tête de mon père, Adrien Maeght, depuis cinq ans ».
À LA FONDATION MAEGHT, C’ESTUNE AUTRE HISTOIRE, AMICALE ET DOUBLEMENT FAMILIALE, QUI EST RACONTÉE, À UNE TOUT AUTRE ÉCHELLE
Ce dernier a accepté de se séparer provisoirement d’une partie de son propre ameublement, dont un lustre créé par Alberto Giacometti pour le mas Bernard portant les initiales « AM » et une table aux chimères par Diego Giacometti, ou encore une superbe coupe oblongue en bronze doré. Le designer Olivier Gagnère signe la scénographie. « Diego Giacometti, explique-t-il, c’est un style très rapide, l’apport de petits personnages poétiques sur un mobilier aux allures à la fois antiques et intemporelles ».
En photographe, Peter Knapp a rapproché chat et chien mouillé et efflanqué, auquel s’était identifié un soir Alberto Giacometti. « Face à ce chien, je ne vois aucune référence à d’autres artistes », observe-t-il. Il pointe la grande version de L’Homme qui marche, conçue pour New York puis, dans une vitrine, sa déclinaison de 7 cm de haut de 1959 « où il a effacé les bras » pour aller encore plus à l’essentiel. « Une grande sculpture d’Alberto valait 7 600 dollars et maintenant elle vaut 76 millions de dollars aux enchères. Alors, tout ce qui s’appelle Giacometti a vu ses prix grimper. Ce qui compte aujourd’hui dans l’art, c’est l’argent », glisse Peter Knapp. On peine à imaginer les valeurs d’assurance… Rien n’empêche toutefois de goûter les deux vraies (re) découvertes de l’exposition : les dessins et maquettes des bâtiments de l’architecte moderniste Bruno Giacometti, le plus jeune frère, et le corpus protéiforme, expressionniste, d’Augusto, le cousin méconnu de Giovanni. Chez les Giacometti aussi, l’art coulait dans les veines.
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« Alberto Giacometti, une rétrospective », jusqu’au 29 août, Grimaldi Forum, 10, avenue Princesse Grace, Monaco.
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« Les Giacometti, une famille de créateurs » , jusqu’au 14 novembre, Fondation Maeght, 623 chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul de Vence.