Le plan d’un appartement dessiné sur l’horizon d’un ciel de nuages, un lit dans une chambre hantée par des formes inquiétantes, lune ou projectile... Ces petites peintures récentes de Guillermo Kuitca se mêlent, au début de son exposition au LaM, à des œuvres des années 1980 dans lesquelles apparaissent des chambres dont on se demande si elles sont cauchemar ou réalité. En quelques salles, Sébastien Delot, directeur-conservateur du musée, déploie quarante ans d’une œuvre jusqu’à présent trop peu montrée en Europe dans toute son ampleur – à l’exception de plusieurs apparitions à la Fondation Cartier, à Paris, et à la documenta, à Cassel. Obsession, inquiétude, enfermement et expérimentations formelles : la première salle dit avec finesse la cohérence d’une recherche où le dessin s’impose comme un territoire à part entière et pas seulement comme un chemin vers la peinture – et où la peinture est par ailleurs un fil rouge.
Espaces intimes, multiples espaces
Guillermo Kuitca est une figure de la scène artistique argentine et internationale. Né en 1961, il est exposé dès l’âge de 13 ans dans une galerie de Buenos Aires. Bouleversé par sa rencontre avec la chorégraphe Pina Bausch dans cette même ville en 1980, il la suit pour travailler avec elle à Wuppertal (Allemagne).
Depuis ces années de formation, il a intégré la scène, le théâtre et la danse à son art. En 1989, il a représenté son pays à la Biennale de São Paulo, mais c’est à partir de 1992 que sa renommée internationale s’établit véritablement grâce à une installation qui fait aujourd’hui partie de la collection de la Tate Modern (Londres) et qui est au cœur de l’exposition de Villeneuve-d’Ascq : un ensemble de petits lits sur lesquels sont peintes des cartes géographiques dont les toponymes font frémir. C’est un affrontement brutal entre l’espace public et l’espace privé, entre l’enfance et le monde adulte, entre le rêve et le cauchemar de totalitarismes qui ne disent pas leur nom – Guillermo Kuitca est très marqué par la dictature argentine et par la Shoah.
Dans le Pavillon argentin qu’il occupe à la Biennale de Venise en 2007, il montre la diversité de sa recherche avec des peintures monumentales qu’il dit lui-même « cubistoïdes ». Sous la forme de dessins, de peintures, d’installations, de décors de théâtre et d’opéra et même de livres sur tissu, son art pourrait se résumer à la représentation d’espaces, avant tout d’espaces intérieurs et inquiets. Par son caractère obsessionnel et par les territoires qu’il traverse, il résonne avec les collections d’art moderne et d’art brut que conserve le LAM, ce qui l’éclaire magnifiquement.
« Guillermo Kuitca. Dénouement », 19 mai-26 septembre 2021, LaM, 1, allée du Musée, 59650 Villeneuve-d’Ascq, musee-lam.fr