C’est à la villa André Bloc, sur les hauteurs de Meudon, que commence la double exposition de Leonor Antunes cet automne, « the homemaker and her domain ». Elle y a orchestré un préambule qui lui permet d’expérimenter les éléments installés dans la chapelle de l’École nationale supérieure des beaux-arts.
Leonor Antunes mène toujours ses recherches dans les angles de la modernité. Et, dans l’une des deux constructions imaginées par l’architecte entre 1960 et 1964, l’« Habitacle no 2 », elle a fait entrer trois créatrices qui lui ont inspiré cette exposition. Elle a réalisé d’abord un tapis de céramique dont les motifs reprennent un dessin de la Japonaise Michiko Yamawaki, arrivée au Bauhaus avec son mari architecte et photographe. S’inspirant de lampes de Charlotte Perriand pour la résidence de l’ambassadeur du Japon à Paris, qu’elle a fait basculer de l’horizontale à la verticale, elle a conçu des structures métalliques qui invitent à lever les yeux vers les voûtes en briques blanches, sur lesquelles elle a fixé des blocs de céramique. Enfin, sur un fauteuil de l’Italienne Gae Aulenti dont elle a allongé la forme jusqu’au plafond, elle a posé, comme un vêtement, un ouvrage en cuir souple qui reprend la forme d’une rampe d’escalier d’un palais vénitien aménagé par Egle Renata Trincanato. Ce petit espace ouvert aux vents qui balayent le jardin de la villa André Bloc se trouve transformé en un foyer, comme redessiné par ces objets ambigus dans leurs formes et leurs matières.
Leonor Antunes, qui a souvent utilisé le bois, le liège, le cuir et le laiton, avait le projet d’apprendre la céramique au Japon. Mais, en raison de la pandémie de Covid-19, elle a dû se contenter d’une année de formation dans un atelier de Lisbonne, où elle est née en 1972. C’est là qu’elle a imaginé de réunir les figures géométriques de Michiko Yamawaki, venue travailler en Europe, où son vocabulaire formel a été mal compris, et de Charlotte Perriand à l’époque où celle-ci jouait dans la plus grande liberté avec les codes des traditions japonaises – ce qui lui a valu de nombreuses critiques sur place. Comme Leonor Antunes le raconte, l’une et l’autre se sont retrouvées « lost in translation »…
UNE HORIZONTALITÉ DYNAMIQUE
Pour répondre à l’invitation du Festival d’Automne, c’est Leonor Antunes elle-même qui a choisi la chapelle des Beaux-Arts, qui fut à l’origine du musée des Monuments français fondé par Alexandre Lenoir en 1795. Dans cet édifice sont accrochés presque pêle-mêle des moulages de sculptures, de peintures et d’éléments d’architecture majeurs dans l’histoire de l’art. C’est un concentré de lieux et de temps qui fait écho au principe que Leonor Antunes met en œuvre dans ses propres recherches, s’appuyant sur des figures historiques de la création.
Dans cet immense volume densément peuplé d’objets, elle est parvenue, par des jeux subtils d’échelle, de formes et de couleurs, à redessiner un univers domestique. L’espace est comme sculpté par des lampes de sa main, composées d’un tube de longueur standard, courbé et déformé afin de tenir debout. Alors que les œuvres de Leonor Antunes sont souvent remarquables par la façon dont elle occupe verticalement l’espace – c’était le cas en 2019 au Gropius Bau, à Berlin, ou dans le Pavillon portugais de la Biennale de Venise –, elle s’est lancée ici dans une exposition qui ramène le volume de la chapelle des Beaux-Arts à des lignes horizontales.
Chez Leonor Antunes, aucune décision n’est laissée au hasard. Pour déterminer les dimensions du grand tapis de céramique qui occupe le centre de la chapelle, elle s’est fondée sur le dallage en damier du vestibule qui précède la nef. On retrouve ici la figure de Michiko Yawamaki présente à Meudon : c’est l’un de ses dessins qui a inspiré les motifs modulaires, tous légèrement cdifférents. « Son père était maître du thé, elle portait des kimonos, et ses couleurs n’étaient pas celles du Bauhaus, ce qui donnait lieu à beaucoup d’incompréhensions de son travail », raconte Leonor Antunes qui a repris les roses et les bleus de Michiko Yawamaki dans ses textiles, des couleurs de terre qui résonnent étonnamment avec les teintes du Jugement dernier de Michel-Ange, dont une copie occupe tout le fond de la chapelle. Les différents modules qui composent le tapis, tous découpés dans la terre au fil de fer, ont différentes hauteurs, ce qui anime l’ensemble d’un mouvement dynamique.
Il s’agit à la fois d’un tapis et d’un socle. Une sculpture reprenant en volume le dessin d’un autre tapis de Michiko Yawamaki est posée dans un angle de cette surface. Une table inspirée d’un modèle de Charlotte Perriand a été placée à l’autre extrémité, surélevée jusqu’à hauteur d’yeux par des panneaux de contre-plaqué épaissi et dont le plateau a été remplacé par un module en céramique. La vaste surface plane du tapis trouve des échos dans un ensemble de tables basses, également inspirées de créations de Charlotte Perriand au Japon. Ces dernières sont faites de plaques en céramique sur lesquelles ont été imprimés des tressages de rotin – les formes sont venues à Leonor Antunes en observant les briques qui constituent les murs de la cité historique de Charjah, aux Émirats arabes unis, dans lesquelles on reconnaît des fossiles de coquillages.
Ces lignes horizontales sont relevées d’un trait par une sculpture en corde recouverte de cuir blanc, suspendue à l’une des poutres de la charpente et qui descend jusqu’au sol. Cette œuvre s’inspire des recherches en papier de riz de Mira Schendel, artiste suisse émigrée au Brésil. De petites structures en laiton galvanisé, dont la forme est issue d’un détail de store, ponctuent l’espace comme des virgules, une manière de casser la symétrie de la nef et de rendre plus discrète la copie de la statue du Colleone d’Andrea del Verrocchio, remarque Leonor Antunes non sans ironie. C’est une recherche en cours, montrée dans un lieu de recherche.
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« Leonor Antunes, the homemaker and her domain », 18 septembre-27 novembre 2021, villa André Bloc, 12, rue du Bel-Air,92190 Meudon ; 15 octobre-28 novembre 2021, Beaux-Arts de Paris, 13, quai Malaquais, 75006 Paris, festival-automne.com/edition-2021/leonor-antunes