Alors que se termine le 21 novembre la remarquable exposition « Stop painting » à la Fondazione Prada à Venise conçue par l’artiste suisse Peter Fischli, avec la complicité de la curatrice Eva Fabbris, qui proposait de revisiter une toute relative « mort de la peinture » au XXe siècle, la Fondazione Prada ouvre à Milan une autre exposition pleinement dédiée à la peinture et consacrée à un seul artiste : Domenico Gnoli, comète de l’art italien né en 1933 et mort en 1970.
CETTE PEINTURE TRÈS ILLUSTRATIVE À L’ATMOSPHÈRE FANTASTIQUE OSCILLE ENTRE DES SIGNES ET COULEURS QUI RAPPELLENT PARFOIS PAUL KLEE
D’abord, dans les années 1950, figure du monde de l’illustration et décorateur de théâtre pour des pièces qui se jouent à Rome, Paris ou Londres, Domenico Gnoli baigne dans le milieu théâtral tout en mettant en place les débuts d’un travail pictural qui mêle une multiplicité de références : Surréalisme (Leonor Fini), peinture métaphysique (Alberto Savinio).
Cette peinture très illustrative à l’atmosphère fantastique oscille entre des signes et couleurs qui rappellent parfois Paul Klee ou encore une réflexion sur une platitude des motifs conjuguée à des effets de matière, problématiques qu’on retrouve dans ces mêmes années en France dans le travail de Jean Dubuffet ou encore de Dado, artistes qui n’auront pas échappé au regard de Domenico Gnoli.
En 1961-1962, s’établissant à New York et poursuivant son travail d’illustrateur, il est donc bien loin des « enjeux pop » de la peinture italienne et notamment romaine de ces années marquées par les œuvres de Giosetta Fioroni, Mario Schifano ou encore Fabio Mauri dont il sera très proche. Toujours entre deux pays – l’Italie, les États-Unis, la France (où il exposera beaucoup), l’Espagne (Majorque, notamment, où il s’installera à partir de 1964) –, il faut attendre l’année 1964 pour que la peinture de Domenico Gnoli affirme véritablement son style : une fascination pour le détail agrandi traité avec la plus grande précision tout en jouant sur des effets de matière pour donner un caractère artificiel, déréalisé au motif.
Ainsi, entre 1964 et 1970, sa production picturale s’enchaîne très vite. Elle prend pour sujet des fauteuils, des chaussures, des lits, des chevelures, des vêtements qui vont d’une poche de pantalon jusqu’à une chemise en passant par un gant, tous occupant l’entièreté de tableaux de grandes dimensions qui viennent ainsi monumentaliser un nœud de cravate ou le col d’une chemise comme s’il s’agissait de plonger dans la superficie de la toile. Ces détails nous donnent à imaginer la personne qui pourrait se cacher derrière l’image sans que jamais la question du portrait n’apparaisse frontalement dans la peinture de Gnoli.
UNE FASCINATION POUR LE DÉTAIL AGRANDI TRAITÉ AVEC LA PLUS GRANDE PRÉCISION
Germano Celant (1940-2020) avait présenté Domenico Gnoli dans des expositions collectives consacrées à l’art italien (« The Italian Metamorphosis 1943-1968 », au Solomon R. Guggenheim Museum, à New York, en 1994), mais ce projet de lui consacrer une exposition personnelle auquel il travaillait au moment de disparaître redonne à cette singularité de l’art italien des années 1960 une place pour le moins incontournable qui résonne d’autant plus fort aujourd’hui que la peinture figurative connaît un véritable regain d’intérêt de la part notamment de jeunes générations d’artistes.
SOIXANTE-DIX TOILES NOUS INVITENT À PARCOURIR LE MONDE ÉNIGMATIQUE ET SILENCIEUX DE DOMENICO GNOLI
Porté par une scénographie efficace et élégante confiée au studio 2x4, le dispositif de l’exposition se déploie sur deux étages. D’abord, au premier niveau du Podium, les tableaux sont présentés par série sur des parois métalliques gris anthracite ; la lecture commence par la toile la plus ancienne à partir de laquelle découlent d’autres tableaux issus du même sujet tout en échappant à une présentation chronologique.
Soixante-dix toiles nous invitent ainsi à parcourir le monde énigmatique et silencieux de Domenico Gnoli. On parcourt ainsi la série des fauteuils, tables, lits, chevelures, chemises, chaussures, pantalons, les tableaux étant mis les uns à côté des autres sans autre indication qu’un seul numéro, dispositif qui rejoue celui des Salons ou des Biennales des temps passés.
Au premier étage, dans des vitrines et sur ces mêmes parois métalliques sont exposés, cette fois, par ordre chronologique des documents d’archives (lettres, photographies…), dessins, programmes de pièces de théâtre, tableaux de petits formats des années antérieures.
Ce dispositif scindé sur deux niveaux évite l’habituelle confrontation dans le même espace des documents d’archives et des œuvres. Il privilégie le sensible à son histoire, un geste curatorial pleinement affirmé par Germano Celant et par les curateurs (Carlo Barbatti, Mario Mainetti) qui ont finalisé son projet après lui.
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Domenico Gnoli, jusqu’au 27 février 2022, Fondazione Prada, largo Isarco, Milan.