C’est une vaste et passionnante monographie que le Zentrum Paul Klee, à Berne, consacre à l’un des artistes phares de la Confédération helvétique : Max Bill, né à Winterthour le 22 décembre 1908 et mort à Berlin le 9 décembre 1994. Découpé en une chronologie de décennies et intitulé à dessein « Max Bill Global », le parcours n’explore pas uniquement son propre travail, mais le met continuellement en regard avec l’époque. Il dévoile ainsi les influences, sinon accointances avec moult artistes à travers la planète, amis de longue date ou nouveaux venus aux visions proches, révélant « le rôle considérable que ces contacts internationaux ont joué dans l’évolution et la réception de l’œuvre de cet ‘’Homo Universalis’’ », comme le souligne Fabienne Eggelhöfer, commissaire de l’exposition et conservatrice en chef au Zentrum Paul Klee. Car, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’homme avait, en effet, plusieurs cordes à son art : peintre et sculpteur certes, mais aussi architecte, designer, graphiste, typographe accompli et publicitaire prolifique, éminent théoricien et enseignant, commissaire d’exposition et collectionneur, sans oublier homme politique et activiste. Bref, un personnage complet et complexe, et un réseau artistique tissé au fil du temps principalement sur deux continents – l’Europe et l’Amérique (du Nord et latine) –, puis soigneusement entretenu et à l’origine de nombreux et fructueux dialogues. Ces derniers sont retranscrits par le biais d’une scénographie en doubles cimaises, dont on subodore que son tracé au sol s’inspire de quelque composition « billienne ».
Première décennie donc, les années 1920. Max Bill a 20 ans à peine et se retrouve, au printemps 1927, plongé dans le « grand bain » du Bauhaus, à Dessau (Allemagne). Il y séjournera deux ans. Une aquarelle de sa main intitulée Un bateau sous le soleil (1929) n’est pas sans évoquer, à la fois dans les couleurs et la manière de croquer le dessin, cette toile signée Paul Klee, Enfants hors de la ville, peinte un an auparavant et accrochée non loin, selon le dispositif scénographique déjà décrit. Sur cette seconde cimaise, on retrouve d’ailleurs des œuvres d’autres enseignants de cette école avant-gardiste allemande, tels Josef Albers, Vassily Kandinsky ou Lionel Feininger. Max Bill y explorera, en outre, l’atelier « métal » cornaqué par László Moholy-Nagy ou celui de « théâtre » d’Oskar Schlemmer. Les face-à-face se répètent dès lors pour chaque décennie suivante.
AU PRINTEMPS 1927, MAX BILL SE RETROUVE PLONGÉ DANS LE « GRAND BAIN » DU BAUHAUS
Les années 1930 mettent le travail de Max Bill en miroir avec des œuvres de Georges Vantongerloo, Sophie Taeuber-Arp, Joaquin Torres-Garcia ou Theo van Doesburg; les années 1940 avec Camille Louis Graeser ou Richard Paul Lohse; les années 1950 avec Lygia Clark, Mary Vieria, Almir Mavignier ou Tomas Maldonado; les années 1960 et 1970 avec Josef Albers ou Donald Judd. Toutes ces œuvres, ici rassemblées, éclairent évidemment chacune à leur manière les choix et les directions suivis par Max Bill. Mais en outre, chaque décennie reflète une période pendant laquelle l’artiste investit un lieu géographique particulier, constituant, peu à peu, ce fameux réseau à l’échelle du globe. Après l’Allemagne (Dessau) dans les années 1920, ce sera la France (Paris) pendant la décennie suivante, puis la Suisse (Zurich), le Brésil (São Paulo) et l’Argentine (Buenos Aires), enfin, les États-Unis (New York, Chicago, San Francisco). À l’orée des années 1980, sa « toile » est alors à son acmé.
RAYON « GRAPHISME », ON DEVINE AISÉMENT L’INFLUENCE DU CONSTRUCTIVISME RUSSE ET DU MOUVEMENT DE STIJL
Rayon « graphisme », on devine aisément l’influence du Constructivisme russe et du mouvement De Stijl, que Max Bill a découverts au Bauhaus. À preuve : ce dessin pour la façade de la firme Pestalozzi & Co, où le profil agrandi d’une poutre métallique IPN joue à l’envi son rôle de logotype. Idem avec cette affiche pour une exposition sur l’architecture et le graphisme brésilien, au Kunstgewerbemuseum de Zurich. Membre, lors de son séjour à Paris, du collectif Abstraction-Création, qui s’oppose aux surréalistes d’André Breton, Max Bill deviendra par la suite l’un des fers de lance du mouvement de l’Art concret, prônant une non-objectivité générée par les seuls moyens plastiques que sont le point, la ligne, la surface, la couleur. L’artiste n’hésite pas non plus à explorer divers matériaux. En témoignent ces sculptures proches de figures mathématiques, comme Continuité, en métal doré, ou la série Famille de cinq demi-sphères, en marbre.
Afin de transmettre son savoir, Max Bill fonde à Ulm (Allemagne), en 1955, avec Inge Scholl et Otl Aicher, une école réputée : la Hochschule für Gestaltung, autrement dit « l’École supérieure de design ». Dans la sélection de meubles et luminaires ici présentés, on remarque notamment l’ingénieux tabouret en bois destiné aux étudiants qu’il a dessiné avec Hans Gugelot, à la fois assise et porte-livres, depuis surnommé « tabouret d’Ulm ». Un module en bois à la fois minimaliste et monumental permet aux visiteurs de s’asseoir confortablement pour consulter le catalogue de l’exposition. Peu se doutent, en revanche, si leur regard ne croise le cartel, que celui-ci est, en réalité, lui aussi une œuvre de Max Bill, un « Pavillon-Sculpture », jadis conçu pour la ville de Zurich.
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« Max Bill Global », jusqu’au 9 janvier 2022, Zentrum Paul Klee, Monument im Fruchtland 3, Berne, Suisse.