Dans la famille Adam, il y a le patriarche Jacob Sigisbert, ses fils Lambert Sigisbert, Nicolas Sébastien et François Gaspard, ses petits-fils Sigisbert François, Pierre Joseph et Claude Michel dit Clodion, qui est aussi – et de loin – le plus célèbre d’entre tous… Leurs facultés exceptionnelles sont à l’image de leurs prénoms, héréditaires, baroques, et pleins de panache. L’exposition que leur consacre les musées de Nancy est l’une des plus passionnantes de cette année 2021. On y découvre des artistes parfois méconnus, tous issus d’une même dynastie lorraine qui a participé aux grandes heures de la sculpture du XVIIIe siècle, de Versailles à Rome et de Nancy à Berlin. Les commissaires Pierre-Hippolyte Pénet et Guilhem Scherf retracent cette saga internationale sur trois générations grâce à d’innombrables prêts. Outre ceux, remarquables, accordés par le musée du Louvre et le château de Versailles, il faut saluer plusieurs envois extraordinaires de Potsdam.
En 1752, Louis XV offre à la Prusse cinq sculptures majeures, parmi lesquelles trois marbres monumentaux de Lambert Sigisbert, alors actif à la cour française. Provoquant auprès des amateurs français une fureur à la mesure de l’enthousiasme de Frédéric II, ce présent permet aux frères Adam de s’imposer dans l’élaboration des grands décors de Sanssouci à Postdam. Le roi de Prusse possédait déjà Neptune et Amphitrite, bustes virtuoses acquis à Rome quelques années plus tôt ; il offre aux nouveaux venus les meilleures places. La copie du Mars Ludovisi est installée dans le vestibule de son pavillon, tandis que La Pêche et La Chasse rejoignent le grand parterre.
Désireux de compléter ce magnifique ensemble, Frédéric II fait de François Gaspard son premier sculpteur, et lui confie l’embellissement de ses chers palais comme de ses jardins. Deux statues colossales issues de cette grande commande, Mars et Minerve, ont pu faire le voyage. Habituellement invisibles, déposées en réserve depuis plus de 20 ans pour des raisons de conservation, leur présentation – a fortiori en France – constitue un événement suffisamment rare pour justifier le voyage à Nancy !
D’autres pièces moins accessibles encore sont présentées à la faveur de cette exposition, telle une paire de médaillons retrouvés dans un carmel de Créteil, ou encore le chef-d’œuvre de Lambert Sigisbert, un groupe de bustes à l’effigie des Quatre Éléments. Devenues à la fin du XIXe siècle un des fleurons de la collection Rothschild, ces quatre sculptures sont toujours conservées en mains privées. Elles surprennent par la fraîcheur de leurs expressions et l’audace de leur traitement. L’évocation la plus puissante est sans doute celle de L’Air, sourcils et boucles ébouriffés, soufflant toutes joues dehors. Son torse nu est affublé d’une saisissante dépouille d’aigle, presque vivante, au point que les ailes du volatile semblent enserrer voluptueusement ses épaules découvertes.
Heureusement pour les autres sculpteurs – et leur famille –, Jacob Sigisbert n’eut pas suffisamment de fils pour satisfaire toutes les commandes de la principauté ! Une deuxième exposition, au château de Lunéville, éclaire d’autres noms qui ont fait de la Lorraine au XVIIIe siècle un ardent foyer de création, elle met en lumière la sculpture sous tous les angles du lieu, du palais aux fabriques, des façades au mobilier, du décor au jardin. La résidence des ducs, dévastée par l’incendie de 2003, organise donc pour la première fois une manifestation qui laisse réellement imaginer quelle était sa splendeur, comprendre ce qui faisait sa renommée, et espérer des lendemains qui chantent. La lecture du catalogue rend presque optimiste; l’état des connaissances sur le château est aussi un état des lieux, et contre toute attente il subsiste d’importants décors qui n’attendent que d’être restaurés, comme de somptueux dessus-de-porte exécutés en plâtre par François Dumont. De récentes découvertes dans les collections du cabinet des arts graphiques du Musée des arts décoratifs (MAD) permettent d’ailleurs d’apprécier l’extrême qualité du programme décoratif de l’architecte Germain Boffrand, dont l’agence précisait jusqu’au dessin des corniches.
Dispersées sur ordre de Louis XV à la mort de Stanislas, les œuvres de Lunéville sont rares. Cela n’a pas découragé les commissaires qui sont parvenus à réunir, entre autres trésors, un impressionnant bronze des collections de la reine à Windsor, une console au chiffre du duc Léopold identifiée tout récemment dans les collections de Champ de Bataille, et surtout quatre des fontaines qui ornaient le parc. De la main de Barthélémy Guibal, ces sculptures en plomb furent fort bien acquises dès le XVIIIe siècle par un prince Wittelsbach voisin, qui s’empressa d’en agrémenter son parc de Schwetzingen. Elles reviennent en Lorraine pour la première fois, le temps de l’exposition.
Une œuvre devrait cependant rester à Lunéville, et pour toujours. Il s’agit du précieux miroir de toilette de la duchesse de Lorraine redécouvert en 2019 par la galerie Steinitz, « garny d’un cadre de bronze doré en relief et d’un couronnement des armes de Leurs Altesses Royales » (inventaire de 1732). Malgré l’engagement du département de la Meurthe-et-Moselle, 45 000 euros sont encore nécessaires à son acquisition. Une souscription est ouverte depuis juin 2021, sous l’égide de la Fondation du Patrimoine.
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« Les Adam, la sculpture en héritage », jusqu’au 9 janvier 2022, exposition hors les murs du palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain, Musée des beaux-arts de Nancy, 3 Place Stanislas, 54000 Nancy.
« La sculpture en son château, variation sur un art majeur », jusqu’au 9 janvier 2022, Château de Lunéville, Place de la 2e DC, 54300 Lunéville.