L’année 2021 a mal commencé. Le nombre de décès dus au Covid-19 a grimpé en flèche en janvier, atteignant plus de 17 000 par jour, et des pays du monde entier se sont confinés. Le marché de l’art – une fois de plus – a appuyé sur le bouton pause; les foires d’art ont été annulées ou reportées. Comme en 2020, les ventes aux enchères ont été transférées en ligne, avec des offres fortement réduites. Les galeries se sont efforcées de rester en contact avec leurs collectionneurs par courrier électronique ou par des réunions en ligne via l’application Zoom.
POUR LA PREMIÈRE FOIS, CHRISTIE’S A PROPOSÉ AUX ENCHÈRES UN NFT (JETON NON FONGIBLE)
Les viewing rooms (salles d’exposition en ligne) se sont avérées décevantes, bien que les galeries aient observé que le manque à gagner en termes de ventes ait été compensé par une réduction des coûts – déplacements, expositions et réceptions des clients dans des restaurants chics. Mais l’année a également été ponctuée par trois événements qui ont secoué le marché dans ses fondements.
Le premier est survenu en mars lorsque, pour la première fois, Christie’s a proposé aux enchères un NFT (jeton non fongible) correspondant à une compilation de 5 000 petites œuvres réalisées uniquement en ligne par l’artiste numérique Beeple (alias Mike Winkelmann). Le prix de départ d’Everydays : the First 5000 Days n’était que de 100 dollars et la maison de ventes aux enchères a accepté le paiement en cryptomonnaies, là encore pour la première fois. Après un démarrage lent, une bataille d’enchères de dernière minute a fait grimper le prix jusqu’à 60,2 millions de dollars (69,3 millions de dollars avec les frais; 61,44 millions d’euros avec les frais). L’acquéreur est l’entrepreneur en cryptomonnaies Vignesh Sundaresan, connu sous le pseudonyme de MetaKovan.
Cette vente a eu un effet galvanisant sur le marché des NFT, et d’autres ont rapidement atteint des prix aussi élevés : 11,7 millions de dollars (près de 10,4 millions d’euros) pour CryptoPunk 7523 (2017) chez Sotheby’s; 6,6 millions de dollars (5,8 millions d’euros) pour un autre Beeple via Nifty Gateway et, en novembre chez Christie’s, 28,9 millions de dollars (25,6 millions d’euros) pour la sculpture générative Human One (2021) de Beeple. Cette histoire continue de s’écrire, avec de plus en plus de fans qui se joignent à la fête et un nombre ahurissant d’initiatives créées dans cet espace. Cela va de la réalisation de 10 000 NFT de La Grande Vague (1831) d’Hokusai au British Museum à l’édition limitée de « gouttes » par la marque de vêtements Burberry – et ce ne sont là que des gouttes d’eau dans l’océan de tous les projets liés aux NFT qui voient le jour au moment où sont écrites ces lignes.
LA DEUXIÈME GRANDE NOUVELLE A ÉTÉ LA MONTÉE EN PUISSANCE DES ACHATS ASIATIQUES, AVEC UNE NOUVELLE GÉNÉRATION QUI ENCHÉRIT FRÉNÉTIQUEMENT SUR L’ART CONTEMPORAIN INTERNATIONAL
La deuxième grande nouvelle a été la montée en puissance des achats asiatiques, avec une nouvelle génération qui enchérit frénétiquement sur l’art contemporain international, notamment les jeunes artistes les plus en vue. En octobre, chez Sotheby’s Hong Kong, les œuvres de Loie Hollowell, Jadé Fadojutimi et Joel Mesler ont dépassé de loin les estimations de prévente. La même frénésie a été observée à Frieze London la semaine suivante, lorsque des enchérisseurs asiatiques ont à nouveau couru après des œuvres de Fadojutimi ainsi que d’autres nouveaux noms tels que Cinga Samson, Oli Epp et Trey Abdella, propulsant leurs prix bien au-delà des attentes.
18,6 MILLIONS DE LIVRES STERLING (21,8MILLIONS D’EUROS) POUR « LOVE IS IN THE BIN » (2018) DE BANKSY
Cette même vente de Sotheby’s a vu la troisième grande information de l’année – les 18,6 millions de livres sterling (21,8 millions d’euros) atteints pour Love is in the Bin (2018) de Banksy. L’œuvre avait initialement été vendue aux enchères sous le nom de Girl with a Balloon en 2018 pour le montant record d’un million de livres sterling, avant d’être partiellement déchiquetée lorsque le marteau est tombé.
L’acheteur européen a conservé l’œuvre déchiquetée (devenue une « nouvelle » œuvre, selon la maison de ventes aux enchères) et a été récompensé par un retour sensationnel sur son investissement. L’acquéreur de cette année venait d’Asie et a payé en cryptomonnaies, selon le site d’information du magazine Canvas, qui précise qu’il était assez novice sur le marché de l’art et n’avait jamais acheté dans une galerie.
L’histoire du Banksy réunit parfaitement les trois éléments clés de l’année : l’impact du pouvoir d’achat des Asiatiques, l’influence croissante des cryptomonnaies et de ceux qui ont fait fortune dans ces monnaies alternatives, et une réorientation de l’enseignement de l’art. Car, ne vous y trompez pas, l’acheteur a acheté un coup de théâtre, un investissement et une attraction probable pour un musée privé, mais certainement pas une œuvre d’art importante, si ce n’est son histoire bien connue. Cette vente nous amène à nous interroger sur toute la structure de validation des œuvres, lorsqu’une pièce d’un artiste largement méprisé par l’establishment traditionnel de l’art a réussi à atteindre le même prix que, par exemple, Homme et enfant (1969) de Pablo Picasso, qui a rapporté 24,4 millions de dollars (21,64 millions d’euros) lors de la vente pop-up du Bellagio à Las Vegas – également orchestrée par Sotheby’s – en octobre.
Vous vous souvenez du phénomène KAWs d’il y a trois ans, un autre street artist dont l’œuvre s’est vendue pour un montant (alors) stupéfiant de 14,8 millions de dollars (près de 13 millions d’euros) chez Sotheby’s à Hong Kong en 2019 ? Il semble maintenant que ce n’était qu’un début.