Bien que les circonstances, en constante évolution, aient engendré de nombreux défis, la cinquième édition de la triennale Prospect New Orleans a ouvert ses portes à La Nouvelle-Orléans en octobre. Initialement prévue à l’automne 2020, l’ouverture a été retardée d’un an par la pandémie, puis à cause de l’impact dévastateur de l’ouragan Ida. Malgré ces différents reports d’ordres publics, personnels, logistiques et environnementaux, nous sommes reconnaissants d’avoir pu compter sur le soutien et la collaboration continus de notre communauté d’artistes, de professionnels de l’art, d’encadreurs, de régisseurs, ainsi que de tant d’autres personnes à travers le pays qui ont contribué à la fois à la réalisation de cette exposition, « Prospect.5 : Yesterday We Said Tomorrow », et à son inspiration.
Beaucoup de personnes commencent tout juste à comprendre l’instabilité environnementale que connaît La Nouvelle-Orléans depuis longtemps. Les fréquentes inondations, l’élévation du niveau de la mer, les ouragans et la myriade d’impacts du racisme environnemental ne cessent de s’aggraver, tandis que les appels lancés dans le monde entier par les militants du climat et les défenseurs de la terre sont ignorés. Les générations actuelles et futures seront confrontées à un nombre record de catastrophes naturelles, à un déclin accéléré par toute une série de modèles météorologiques imprévisibles et à des épidémies de plus en plus fréquentes. La responsabilité et l’action sur ce front ne doivent pas être différées, bien qu’elles l’aient été pendant bien trop longtemps.
LES GÉNÉRATIONS ACTUELLES ET FUTURES SERONT CONFRONTÉES À UN NOMBRE RECORD DE CATASTROPHES NATURELLES
Avant même que la pandémie et l’ouragan Ida ne conduisent au report de la manifestation, l’environnement et notre relation à lui étaient des éléments clés de notre engagement curatorial à La Nouvelle-Orléans en tant que codirecteurs artistiques de Prospect.5. Des artistes tels que Dineo Seshee Bopape, Cooking Sections, Candice Lin et Sky Hopinka, entre autres, ont proposé des projets artistiques riches qui invitent à la réflexion sur le paysage et l’environnement, non seulement d’un point de vue théorique mais aussi à travers les aspects esthétiques et matériels de leurs œuvres. Ces artistes ont travaillé à partir de la réalité matérielle de divers paysages et territoires.
Lin et Bopape ont tous deux puisé de l’argile dans les bayous et les rivières de Louisiane pour réfléchir à la violence qui s’est historiquement transmise par les cours d’eau, tandis que Cooking Sections s’est tourné vers les huîtres locales pour explorer l’impact du changement climatique sur les écosystèmes aquatiques. En tant que commissaires d’exposition n’habitant pas La Nouvelle-Orléans, nous avons estimé qu’il était très important pour notre démarche de présenter des œuvres immersives et adaptées au site, qui ne sont pas seulement liées au lieu, mais qui interagissent aussi activement avec lui.
UNE PARTIE DE NOTRE RÉFLEXION ÉTAIT ÉGALEMENT LIÉE AUX CYCLES RITUELS ET SPIRITUELS QUI SONT PROFONDÉMENT ANCRÉS DANS CETTE TERRE
Nous tenions également à inscrire la tradition dans le champ de l’exposition, et plusieurs artistes abordent le paysage à travers divers médias et sites. De la même manière que nous observons et vivons des catastrophes naturelles revenant de façon cyclique, une partie de notre réflexion sur le paysage de La Nouvelle-Orléans était également liée aux cycles rituels et spirituels qui sont profondément ancrés dans cette terre. Cette riche histoire de connaissances intergénérationnelles est façonnée par les cycles environnementaux et humains de la ville, des festivités aux rituels de deuil. La célébration et le souvenir sont intimement liés.
Le modèle de Prospect New Orleans occupe une position unique dans cette ère de crise environnementale et d’inaction, puisqu’il est apparu à la suite de l’ouragan Katrina. Il découle directement de la catastrophe naturelle initiale qui a déplacé et touché tant de personnes, mais aussi des répliques de l’événement, qui continuent de se répercuter dans toute la ville. Nous pensons que le cadre de la triennale elle-même, en tant qu’exposition temporaire et spécifique à un site, est assorti d’une grande responsabilité et nécessite une attention particulière. L’importance de la géographie doit être un élément central de ces débats, en étant attentif à la réactivité et l’agilité lors de la prise en compte des besoins du lieu – à la fois le territoire et les personnes qui l’habitent.
Après l’ouragan Ida, nous avons d’abord consacré notre énergie à la communauté de La Nouvelle-Orléans. De nombreux projets de Prospect.5 ont été affectés d’une manière ou d’une autre par ces interventions environnementales. Prenez Adriana Corral, qui a modifié son projet, choisissant de verser le budget de production dont elle disposait à des fonds d’aide mutuelle. Au fur et à mesure que nous allions de l’avant, ces changements intuitifs étaient la seule façon d’avancer.
À quoi pourraient ressembler les biennales et triennales si la relation au site était davantage prise en compte et si nous nous dirigions vers un modèle de manifestations responsables envers les lieux et les environnements dans lesquels elles s’inscrivent pour une période limitée ? Nous aimerions continuer à imaginer ce à quoi cela pourrait ressembler, à La Nouvelle-Orléans et ailleurs, alors que nous continuons à réfléchir à la précarité de nos environnements communs.
« Prospect.5 : Yesterday we said tomorrow », jusqu’au 23 janvier 2022, divers lieux, La Nouvelle-Orléans, Louisiane, États-Unis.
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Naima J. Keith et Diana Nawi sont les co-commissaires de la cinquième édition de la triennale Prospect New Orleans. Nawi est une commissaire d’exposition indépendante basée à Los Angeles. Keith est vice-présidente de l’éducation et des programmes publics au Los Angeles County Museum of Art (Lacma).