Personne ne semble plus américain que Walt Disney. Né à Chicago et élevé dans le Missouri, il a offert au monde Mickey Mouse, Disneyland et une société tentaculaire toujours en activité près d’un siècle après sa création. C’est en effet en 1923 qu’il a fondé avec son frère Roy ce studio de dessins animés à Hollywood.
L’exposition qui se tient actuellement au Metropolitan Museum of Art (Met) de New York montre que Walt Disney partageait aussi les goûts de l’aristocratie française, trouvant des sources d’inspiration pour ses films et ses parcs à thème dans les arts décoratifs de l’Ancien régime. Donner vie aux objets inanimés est l’une des caractéristiques du rococo européen, dont les artisans ont admirablement associé des éléments empruntés au corps humain, aux animaux et aux choses, façonnant des branches de candélabres dorées qui semblaient être des bras, des anses de vases en porcelaine à l’apparence de trompes d’éléphants et des figurines ressemblant à des personnages de Disney avant la lettre. Ce n’est pas une coïncidence, puisque pendant des décennies, les dessinateurs et les concepteurs de Disney, sous l’impulsion de Walt lui-même, ont consulté des images d’objets du XVIIIe siècle pour créer leurs films et leurs parcs à thème. Ce lien est au cœur de l’exposition « Inspiring Walt Disney : The animation of French decorative arts », qui réunit 60 objets décoratifs européens du XVIIIe siècle, dont des horloges Boulle et de la porcelaine de Sèvres provenant de la collection prestigieuse du Met, et 150 pièces issues de films comme Cendrillon et La Belle au bois dormant, prêtées par la Walt Disney Animation Research Library et d’autres collections.
Wolf Burchard, conservateur associé au département de la sculpture européenne et des arts décoratifs du Metropolitan Museum of Art et commissaire de l’exposition, explique qu’il s’intéresse depuis longtemps à l’œuvre de Disney et qu’il réfléchit activement à la manière de réaliser cette exposition depuis cinq ans. Il voit des parallèles entre la France du XVIIIe siècle, première puissance européenne de l’époque, et l’Amérique du milieu du XXe siècle, en pleine effervescence à cause de son nouveau statut de superpuissance. Il voit une sorte de passion commune dans les ateliers de la France des Bourbons et les studios Disney, dont l’objectif commun était de produire des œuvres « un peu amusantes ».
L’exposition commence par la découverte de la France par Walt Disney, remontant à 1918. À l’époque, il se rend adolescent en Europe en tant qu’ambulancier juste après la Première Guerre mondiale. En 1935, lors d’une grande tournée en Europe, il est célébré en France comme un génie du cinéma. Il est revenu de ce voyage avec des centaines de livres illustrés. Ces références européennes se sont retrouvées dans de nombreux projets Disney, atteignant leur apogée dans La Belle et la Bête de 1991, une idée de Disney datant des années 1930, bien que réalisée longtemps après sa mort.
Le producteur Don Hahn, dont les liens avec le studio remontent aux années 1970, affirme n’avoir pris conscience de l’ampleur de la francophilie de Walt Disney que lorsqu’il a commencé à travailler sur La Belle et la Bête. L’utilisation de l’anthropomorphisme dans ce dessin animé est mise en évidence au Met avec Big Ben (Cogsworth dans la version originale en anglais), la pendule chantante et dansante du film. Parallèlement, l’inspiration rococo est rappelée par des objets tels que la porcelaine de Meissen Faustina Bordoni et Fox (vers 1743), représentant une mezzo-soprano italienne et son renard claviériste.
UNE SORTE DE PASSION COMMUNE DANS LES ATELIERS DE LA FRANCE DES BOURBONS ET LES STUDIOS DISNEY
Disney est présent dans la collection du Met depuis la fin des années 1930, lorsque le musée a acquis Les vautours, une gouache sur celluloïd tirée du film Blanche-Neige et les sept nains de 1937. Ce classique du dessin animé est ici aussi présenté. Max Hollein, directeur du Met, considère « Inspiring Walt Disney » comme une exposition de « lustres, meubles et théières » plutôt que comme une superproduction faite pour attirer les foules. L’exposition révèle « un dialogue interculturel complexe », déclare encore Max Hollein, démontrant comment les inspirations de Walt Disney ont influencé à leur tour les États-Unis. « Une grande partie de l’Amérique a regardé les arts décoratifs français avant tout à travers Disney », conclut-il.
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« Inspiring Walt Disney : The animation of French decorative arts », jusqu’au 6 mars 2022, Metropolitan Museum of Art, 1000 Fifth Avenue, New York. Puis du 6 avril au 16 octobre 2022, The Wallace Collection, Londres.