Si vous deviez vivre avec une seule œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
Quand j’étais étudiant, j’ai réalisé mes propres peintures de Robert Motherwell. J’adore les Elegies to the Spanish Republic (Élégies de la République espagnole) [1948-1967]. Je n’ai jamais pu m’en offrir une, alors j’avais décidé de les refaire. Ces tableaux sont chez moi et ils me gênent énormément mais, les années passant, je suis très fier de les avoir.
Quelle expérience culturelle a changé votre façon de voir le monde ?
Quand j’avais environ 12 ans, ma mère a trouvé un organisme appelé Centre for US/USSR Initiatives [aujourd’hui Centre for Citizen Initiatives]. Et il m’a fait atterrir dans la forêt de ce qu’on appelait alors l’Union soviétique. J’ai donc étudié l’art dans les forêts de Russie, avec de jeunes Russes, sous les auspices de la CIA. C’était un programme des plus bizarres, qui s’inscrivait dans le cadre d’une de ces initiatives politiques de type ping-pong où l’on espérait que les jeunes américains influenceraient les jeunes soviétiques, et où l’année suivante, les jeunes soviétiques venaient en Amérique. Mais au final, ce qui s’est passé, c’est que mon cerveau a explosé. Ma perception du champ des possibles est allée bien au-delà de South Central Los Angeles, une communauté très déshéritée à l’époque. Et cela m’a donné un sentiment d’appartenance et celui d’hériter de la richesse non seulement d’un lieu mais aussi d’un ensemble de pratiques; j’ai eu l’impression que toute l’histoire de l’art était quelque chose dont j’étais l’héritier.
« J’AI ÉTUDIÉ L’ART DANS LES FORÊTS DE RUSSIE, AVEC DE JEUNES RUSSES, SOUS LES AUSPICES DE LA CIA »
Quels sont les écrivains ou les poètes que vous relisez le plus souvent ?
James Baldwin est l’une de ces voix si authentiques, si familières et si brillantes qu’elles résonnent d’une manière à la fois créative et poétique, mais aussi politique. Il aborde également des sujets liés à la sexualité et à la race d’une manière qui m’a passionnée lorsque j’étais enfant.
Je me souviens avoir découvert Richard Dyer quand j’étais enfant, et il était engagé dans ce qu’on appelle les « whiteness studies » (études sur la blanchité), qui, à l’époque, faisaient partie de la recherche en développement sur la théorie critique de la race. Les études sur la blanchité sont en relation directe avec celles sur les Amérindiens, les Afro-Américains et les Asiatiques. L’idée est donc que, si la blanchité est quelque chose qui se trouve partout, nulle part et qui est ineffable, mais qui influence d’une manière ou d’une autre tous les aspects de la culture du design, de l’architecture, de la politique, de la science, pourquoi est-elle si difficile à cerner ?
« JAMES BALDWIN EST L’UNE DE CES VOIX SI AUTHENTIQUES, SI FAMILIÈRES ET SI BRILLANTES QU’ELLES RÉSONNENT D’UNE MANIÈRE À LA FOIS CRÉATIVE ET POÉTIQUE, MAIS AUSSI POLITIQUE »
En fin de compte, nous arrivons à l’aspect ridicule de toutes ces catégories de définitions : l’invention de la race, l’invention de la nation; toutes ces catégories deviennent des outils inutiles. À un certain point, à une certaine dimension, nous devenons tous pareils. Et Dyer est capable d’étudier l’histoire rhétorique de la peinture, de la suivre à travers la pratique matérielle de la réalisation de films, de la suivre à travers la culture pop et les études queer, et de la rendre vraiment vivante – moins théorique et quelque chose de plus consistante et réelle.
« L’ART NOUS PERMET DE FAIRE FACE AU FAIT EXISTENTIEL DE LA DISPARITION »
Quelle musique ou quelle source audio écoutez-vous lorsque vous travaillez ?
J’ai en tête la bande-son de The Prelude [le film de Kehinde Wiley à la National Gallery à Londres]. C’est une partition incroyable créée par un jeune compositeur nommé Niles Luther. Je suis obsédé par cette musique et j’espère que nous travaillerons ensemble sur d’autres projets à l’avenir.
À quoi sert l’art, selon vous ?
L’art nous permet de faire face au fait existentiel de la disparition. C’est pour nous permettre de faire face au destin et de créer quelque chose qui survive au-delà de notre inévitable mort.
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« Kehinde Wiley, The Prelude », jusqu’au 18 avril 2022, National Gallery, Londres, Royaume-Uni.
« The Obama Portraits Tour », jusqu’au 30 mars 2022, High Museum of Art, Atlanta, États-Unis.
Kehinde Wiley est représenté par la Galerie Templon à Paris/Bruxelles.