C’est un projet au long cours qu’accueille le centre d’art Transpalette, à Bourges, avec l’exposition « Hope Will Never Be Silent » (« L’Espoir ne sera jamais silencieux »), concoctée par le duo d’artistes argentin Chiachio et Giannone. Initiée à Buenos Aires, en 2018, au Centro Cultural Kirchner, puis poursuivie l’année suivante à Long Beach, près de Los Angeles, au Museum of Latin American Art, la présentation fait donc escale, pour sa troisième étape, au cœur du Berry.
Particularité : outre ses œuvres, le tandem installe dans chaque lieu un atelier « participatif », afin de prolonger la recherche in situ et d’ouvrir un dialogue. « Il s’agit non pas d’un Work in Progress, mais d’un Show in Progress, explique Leo Chiachio. Pendant toute la durée de l’exposition, nous continuons à produire des pièces et les visiteurs qui ont envie de mettre la main à la pâte le peuvent. À cet instant, la notion de visite change, se fait plus inclusive. Le visiteur devient acteur de l’exposition, sinon lui-même artiste. Les œuvres lui sont moins extérieures, plus proches ». Ainsi en est-il, par exemple, de la série Banderas del Orguillo [« Drapeaux de fierté »], déployée avec ampleur dans le puits de lumière du centre d’art.
FORMÉ IL Y A DEUX DÉCENNIES, LE DUO LEO CHIACHIO, 53 ANS, ET DANIEL GIANNONE, 58 ANS, N’EST PAS INCONNU EN FRANCE
Formé il y a deux décennies, le duo Leo Chiachio, 53 ans, et Daniel Giannone, 58 ans, n’est pas inconnu en France, ayant notamment décroché, en 2013, un prix de l’Appel à création contemporaine de la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson avec, à la clé, le tissage d’une pièce monumentale et jubilatoire, La Famille dans la joyeuse verdure. À Bourges, ils présentent, cette fois, non des tapisseries (très peu), mais un procédé original qu’ils ont baptisé mosaïque-textile. « L’idée nous est venue suite à une visite, en 2017, du site de Pompéi, en Italie, où nous sommes littéralement tombés amoureux des mosaïques, raconte Daniel Giannone. En tant qu’adeptes de la tapisserie, nous nous sommes demandé comment retranscrire cet art décoratif sous une forme plus légère, un textile souple, de manière que l’on puisse l’emporter partout ». Grâce à du tissu thermocollant découpé en petites pastilles minutieusement collées sur des draps teintés, ils réussissent alors à reproduire, peu ou prou, l’aspect visuel de la mosaïque.
« NOUS AIMONS BEAUCOUP CE CONCEPT PLUS VASTE QUE NOUS, DANS LEQUEL CE N’EST PLUS L’ARTISTE QUI EST LA VEDETTE, MAIS LA COMMUNAUTÉ EN SON ENTIER »
Au rez-de-chaussée, l’accrochage, très joyeux, permet d’en contempler un copieux aperçu, à commencer par cette collection intitulée Familia a seis colores [«Famille à six couleurs»], référence, évidemment, au… drapeau des fiertés LGBTQIA+. On l’aura remarqué, il est un vocable dont les deux artistes usent tel un leitmotiv : la famille. La leur d’abord, à travers quantité d’autoportraits – avec ou sans leur chien –, puis celle qu’ils élargissent à l’envi, décomposent et recomposent au gré des recherches ou des rencontres : « Nous sommes très perméables et pensons la famille comme une constellation. C’est un projet ouvert qui parle de minorités, de diversités et de genres certes, mais aussi de questions comme la religion, la tolérance, le respect », souligne Daniel Giannone. « Nous aimons beaucoup ce concept plus vaste que nous, dans lequel ce n’est plus l’artiste qui est la vedette, mais la communauté en son entier », renchérit Leo Chiachio. Une communauté qui se reflète en filigrane dans chacune de leurs œuvres, productions où l’intime se met à nu au sens propre, avec l’inclusion de fragments de vêtements – les leurs ou ceux d’amis –, comme au figuré lorsque s’agrègent les références à des artistes phares, tels Marcelo Alzetta, Pablo Suarez ou… Juan Stoppani, mort ce 31 janvier, alors que Chiachio et Giannone étaient dans l’avion qui les menait d’Argentine en France.
Par le biais de l’atelier, chaque nouveau lieu est aussi l’occasion, pour eux, de glaner moult témoignages sur les artistes LGBTQIA+, argentins à Buenos Aires, puis californiens et nord-américains à Los Angeles, enfin, à Bourges, aujourd’hui, français, voire européens. « Chiachio et Giannone mettent en avant, dans leur travail, leur situation personnelle de couple homosexuel et la problématisent avec une portée politique, estime Julie Crenn, commissaire de l’exposition. Leur objectif est de déjouer une masculinité mortifère pour faire émerger des masculinités au pluriel et, à l’instar de ces mots d’Harvey Milk (premier représentant élu ouvertement gay en Californie, en 1977, NDLR) qui ont donné le titre à l’exposition, rendre toutes les voix audibles et visibles. »
« CHIACHIO ET GIANNONE METTENT EN AVANT, DANS LEUR TRAVAIL, LEUR SITUATION PERSONNELLE DE COUPLE HOMOSEXUEL ET LA PROBLÉMATISENT AVEC UNE PORTÉE POLITIQUE »
Histoire d’élargir encore la famille, leur travail est, ici, mis en regard avec des œuvres d’artistes français historiques, comme ces photographies de Marcel Bascoulard, Michel Journiac ou Pierre Molinier, et actuelles – des dessins et peintures d’Abel Techer aux céramiques et objets de Jordan Roger, en passant par un immense Patchwork des noms, signé Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Autour de Chiachio et Giannone, tous tentent de (re-)tisser les fils d’une épopée longtemps dissimulée et non encore écrite : l’histoire de l’art queer.
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Chiachio et Giannone, « Hope Will Never Be Silent », jusqu’au 24 avril 2022, Transpalette/Antre Peaux, 24/26 route de la Chapelle, 18000 Bourges.