Lucas Cranach l’Ancien, peintre de la cour des électeurs de Saxe et ami de Martin Luther, a fait l’objet de nombreuses rétrospectives. Mais cette exposition helvético-autrichienne est la première à se concentrer sur ses débuts, alors qu’il était un jeune peintre à Vienne. Bien qu’il n’existe aucune archive le confirmant, ses premières peintures connues suggèrent que Cranach (1472-1553) s’est installé à Vienne avant l’âge de 30 ans, vers 1500 – probablement dans l’espoir de recevoir des commandes de portraits du Cercle humaniste de cette ville, un groupe d’intellectuels favorable à des réformes. Son travail semble y avoir été chaleureusement accueilli.
« [Le style] est très différent du raffinement courtois des œuvres ultérieures de Cranach, explique Kerstin Richter, commissaire de l’exposition et responsable de la Collection Oskar Reinhart “Am Römerholz” à Winterthour, en Suisse. Les premiers Cranach sont très expressifs, assez sauvages et bruts, la perspective n’était pas tellement son souci et il se concentrait plutôt sur couleur, le drame et l’émotion. »
L’exposition « Cranach : Die Anfänge in Wien » (« Cranach: les premières années à Vienne ») a ouvert ses portes le 12 mars au musée de Winterthour, avant d’être présentée au Kunsthistorisches Museum (KHM) de Vienne en juin, où elle sera complétée par d’autres œuvres tandis que l’approche y sera quelque peu modifiée. Plusieurs des compositions sur papier et sur parchemin ne pouvant être exposées longtemps à la lumière, elles ne peuvent être montrées que dans l’un des deux musées. Ainsi, l’exposition de Winterthour est axée sur les portraits, tandis qu’à Vienne, l’accent sera mis sur les premières peintures religieuses de Cranach.
« LES PREMIERS CRANACH SONT TRÈS EXPRESSIFS, ASSEZ SAUVAGES ET BRUTS »
La coopération entre la Collection Oskar Reinhart « Am Römerholz » et le KHM a débuté avec l’exposition consacrée par le musée viennois à Pieter Brueghel l’Ancien en 2018. Le musée suisse a prêté son tableau de Brueghel L’adoration des mages dans la neige (1563) pour la toute première fois. Lorsqu’Oskar Reinhart a fait don de sa collection au musée en 1965, c’était à la condition que les œuvres ne soient jamais prêtées, explique Kerstin Richter. Ce n’est qu’en 2018 que le musée a pu assouplir ces conditions. « Désormais, nous pouvons conclure des accords de coopération avec d’autres musées », précise-t-elle.
Environ onze tableaux datant des débuts de la carrière de Cranach subsistent, dont six sont présentés à Winterthour. Ceux qui n’ont pas voyagé sont soit trop fragiles pour être déplacés, soit des trésors nationaux qui n’ont pas le droit d’être prêtés, comme Le Repos pendant la fuite en Égypte (1504) de la Gemäldegalerie de Berlin (qui, de toute façon, a probablement été peint après le séjour de Cranach à Vienne).
L’exposition comprend un diptyque de mariage (vers 1502), issu de la collection du musée, représentant l’humaniste et scientifique autrichien Johannes Cuspinian et son épouse Anna. Un tableau prêté par la Hessische Hausstiftung de Kronberg (Allemagne) – Portrait d’un jeune homme sans barbe – reste cependant un peu mystérieux. Il était auparavant attribué à Albrecht Dürer, mais la communauté scientifique estime aujourd’hui qu’il s’agit d’une œuvre très précoce de Cranach.
La Crucifixion du Christ du KHM (vers 1500), également connue sous le nom de Crucifixion de Schotten, et reconnue unanimement comme l’une des œuvres que Cranach a réalisées à Vienne, constitue un point d’orgue particulièrement graphique. Elle est dépourvue de tout artifice, avec la langue sanglante du Christ qui pend de sa bouche. Le KHM a également prêté le plus ancien tableau de Cranach daté qui nous soit parvenu. La Pénitence de saint Jérôme (1502) montre le saint agité, serrant sa barbe et faisant des gestes frénétiques d’un bras tandis qu’un lion est assis à ses pieds, regardant le spectateur d’un air menaçant.
ENVIRON ONZE TABLEAUX DATANT DES DÉBUTS DE LA CARRIÈRE DE CRANACH SUBSISTENT, DONT SIX SONT PRÉSENTÉS À WINTERTHOUR
Le musée expose également cinq rares dessins anciens et six gravures sur bois, ainsi que quelques-uns des premiers exemples de livres imprimés, comme le Missale Salisburgense de 1506 conservé à la Bibliothèque nationale d’Autriche.
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« Cranach : Die Anfänge in Wien », Collection Oskar Reinhart « Am Römerholz », Winterthour, Suisse, jusqu’au 12 juin 2022 / du 21 juin au 16 octobre 2022, Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche.