Donatello le révolutionnaire – telle est l’idée qui soustend cette exposition unique d’œuvres de Donatello à la Fondazione Palazzo Strozzi et aux Musei del Bargello à Florence. Il ne s’agit pas seulement de Donatello pionnier de la Renaissance (1386-1466), mais aussi de l’artiste si remarquablement doué et sûr de lui, qui a produit un corpus d’œuvres si vaste qu’il a fallu les géants de la Haute Renaissance, notamment Michel-Ange, pour commencer à saisir l’étendue de son héritage artistique. Et certaines de ses inventions et préoccupations, selon le commissaire Francesco Caglioti, n’ont finalement été assimilées qu’à notre époque, à l’ère de la photographie et du cinéma.
Des versions plus modestes de l’exposition seront présentées par la suite à Berlin et à Londres, mais Florence est le seul lieu où l’on peut découvrir l’œuvre de Donatello dans toutes ses composantes – terre cuite, bronze, or, bois et marbre, pour ne citer que quelques uns des matériaux utilisés – et sa diversité d’échelle (des reliefs intimes aux portes monumentales en bronze), tout en ayant la possibilité de visiter les lieux d’origine (comme la basilique Santa Croce) où certaines des œuvres votives de Donatello auraient probablement arrêté les fidèles du Quattrocento dans leur élan.
Répartie sur les deux sites, l’exposition comprend 130 œuvres, présentées par thème et par ordre chronologique, qui reflètent non seulement les différents centres où Donatello a travaillé (notamment Florence, Sienne, Padoue et Prato), mais aussi la réception de ses œuvres par des contemporains tels que Masaccio, Mantegna et Bellini, jusqu’à son profond impact sur des artistes postérieurs comme Michel-Ange, Raphaël et Bronzino. Seule petite déception, les œuvres de Donatello éclipsent la plupart du temps les exemples comparatifs de peintures d’artistes qui lui étaient contemporains, révélant non seulement leurs limites mais aussi – de manière éclairante – celles de la peinture elle-même.
L’exposition au Palazzo Strozzi s’ouvre sur la statue monumentale en marbre du David victorieux (1408-1409; adapté en 1416), exécutée alors que Donatello avait une vingtaine d’années. Toujours empreint d’une élégance gothique tardive, il affiche néanmoins une arrogance et une assurance inédites. Au Museo Nazionale del Bargello, nous voyons comment Donatello s’en inspire pour créer son style de la maturité, tant apprécié par les Médicis, souverains de Florence, dans son œuvre la plus célèbre – une nouvelle fois un David victorieux, mais cette fois en bronze (vers 14351440). Ce dernier David est sensuellement antique plutôt que gothique, conçu pour être vu de manière presque érotique en rondebosse (il était à l’origine placé au sommet d’une colonne), la main sur la hanche, une aile de plumes caressant l’intérieur de sa cuisse, avec un visage d’une grande beauté classique comparable aux bustes antiques du jeune grec Antinoüs.
Au cours de la première décennie du XVe siècle, Donatello et Brunelleschi, le grand architecte (notamment du dôme de la cathédrale Santa Maria del Fiore de Florence), sculpteur et ingénieur, formèrent une étroite association, inspirée par leur admiration commune pour les exploits artistiques de la Grèce antique et de Rome. Ils se sont également encouragés mutuellement, comme le montre l’exposition au Palazzo Strozzi en confrontant les célèbres crucifix en bois peint des deux artistes, Donatello annonçant avec force ses innovations à venir. Son crucifix des environs de 1408, sur lequel Donatello s’est donné une « peine extraordinaire », comme le raconte Vasari dans ses Vies des artistes, a été tourné en dérision par Brunelleschi, qui estimait qu’il avait « mis un paysan sur la croix ». Ici, nous voyons Donatello présenter le Christ comme le fils d’un charpentier d’une manière qui annonce le naturalisme radical de Caravage.
AU COURS DE LA PREMIÈRE DÉCENNIE DU XVE SIÈCLE, DONATELLO ET BRUNELLESCHI FORMÈRENT UNE ÉTROITE ASSOCIATION
UN ESPRIT TRANSGRESSIF, DE L’INVENTION PAR LE MAÎTRE DU NON FINITO (L’«INACHEVÉ») À LA SPREZZATURA (UNE NONCHALANCE ET UNE FACILITÉ)
L’enthousiasme de Francesco Caglioti à présenter l’esprit transgressif et l’extraordinaire réussite de Donatello dans toutes ses créations délicates et dramatiques est palpable tout au long de l’exposition, de l’invention par le maître du non finito (l’« inachevé ») à la sprezzatura (une nonchalance et une facilité). Elle apparaît très tôt dans une salle consacrée aux terres cuites de Donatello représentant la Vierge à l’Enfant (1410-1420), avec de nouvelles attributions. Comment Donatello a-t-il bouleversé les règles ici ? La réponse réside dans la manière dont il introduit la présence du spectateur dans le jeu psychologique entre les personnages. Ainsi, l’enfant Jésus interagit avec nous sur un mode ludique ou avec la conscience de l’enfant, en manifestant sa peur mais aussi sa curiosité naturelle. On sent toujours le plaisir de Donatello dans ces ambiguïtés, mais aussi la fougue de son invention dans la pratique impressionniste de l’argile.
Et il ne reste jamais inactif. Dans le superbe relief en marbre de la Madone des Pazzi (vers 1422, provenant des Staatliche Museen de Berlin), la Madone et l’Enfant sont maintenant présentés dans une relation si intense et si tendre que, pour la première fois dans l’histoire de l’art, suggère Francesco Caglioti, ils se fichent complètement du spectateur: le public de la Renaissance aurait été habitué à se sentir « vu » par la Vierge qui, en réponse à ses prières, intercédait en sa faveur. Maintenant, la Madone et l’Enfant sont enfermés ensemble dans l’intensité de leur propre regard, de leur étreinte et de leur destin commun. Là encore, il y a ambiguïté. L’enfant s’accroche à sa mère, dont le profil fort et « grec » dégage un pressentiment mélancolique, tout en semblant la repousser doucement, anticipant leur séparation définitive.
La Madone des Pazzi est un exemple parmi d’autres dans une salle du Palazzo Strozzi consacrée à l’espace sculpté et peint. Brunelleschi a inventé la perspective à un point de fuite, et Donatello a dû se réjouir des expériences optiques et mathématiques de son ami et de leurs transpositions d’un espace peint convaincant à la sculpture. Pour faire sienne cette découverte capitale, Donatello a développé son propre style de bas-relief, connu sous le nom de schiacciato, dans lequel le relief sculptural peu prononcé présente des degrés de modelé de plus en plus fins pour suggérer des changements de plan extrêmement délicats au fur et à mesure que l’on avance dans la « profondeur », tout en créant un jeu d’ombre et de lumière subtil. La Madone de Hildburgh (vers 1420-1430) et la Madone des nuages (vers 1425-1430; exposée au Museo Nazionale del Bargello) portent cette manière à des niveaux techniques et émotionnels de plus en plus sublimes.
DONATELLO A DÉVELOPPÉ SON PROPRE STYLE DE BAS-RELIEF, CONNU SOUS LE NOM DE SCHIACCIATO
L’un des points forts de cette exploration des possibilités de l’espace sculpté est le relief restauré du Festin d’Hérode (1423-1427) en bronze doré provenant des fonts baptismaux de Sienne, présenté pour la première fois dans une exposition publique. Le principe de perspective de Brunelleschi garantissait que tout apparaissait à partir d’un point de vue central, mais il obligeait le spectateur à rester immobile. Donatello bouleverse ce système en créant des espaces multiples, ambigus et brillants qui peuvent être appréhendés de manière romantique et psychologique, mais aussi dans l’espace. Nous pouvons nous déplacer librement – de la table de banquet à la salle de musique, en passant par la prison où saint Jean-Baptiste a été décapité – mais, comme le saint, nous éprouvons un sentiment d’enfermement où que nous allions.
Nous ressentons cette atmosphère chargée de manière différente dans deux autres prêts extraordinaires : la Porte des Apôtres en bronze et la Porte des Martyrs (vers 1440-1442) de l’ancienne sacristie de San Lorenzo, à Florence, cette dernière venant d’être restaurée. De manière controversée, Donatello décide d’abandonner les attributs traditionnels des nombreux saints et apôtres en discussion (en passant des panneaux supérieurs aux panneaux inférieurs), de sorte que le spectateur se trouve immergé dans l’énergie bouillonnante du débat théologique et dans le caractère tranché des arguments. Cette liberté créative laissait perplexe même ses plus grands admirateurs : le sculpteur Filarète comparait les personnages religieux à des bretteurs.
MICHEL-ANGE A ASSIMILÉ L’ESPRIT DE DONATELLO
Vers la fin de sa longue vie, Donatello se cantonne au bronze : il ne continue pas, comme Michel-Ange, à lutter jusqu’à un âge avancé contre les exigences physiques de la sculpture sur pierre. Il travaille désormais presque exclusivement pour les Médicis. Peu après sa mort, Michel-Ange, qui deviendra lui-même un favori des Médicis, prend le relais. À 15 ans à peine, il crée son bas-relief en marbre la Vierge à l’escalier (vers 1490), prêté par la Casa Buonarroti et présenté dans la dernière salle de l’exposition au Museo Nazionale del Bargello. Sa comparaison avec la Madone de Dudley de Donatello (vers 1440) est révélatrice. Michel-Ange a assimilé l’esprit de Donatello – ici, le Christ enfant nous tourne même le dos alors qu’il lutte pour se nourrir, son bras pendant comme il le fera plus tard dans la mort – tandis que sa Madone « grecque », à la manière de Donatello, regarde fixement vers un avenir tumultueux.
« Donatello, il Rinascimento », jusqu’au 31 juillet, Palazzo Strozzi et Museo Nazionale del Bargello, Florence. Commissaire: Francesco Caglioti