La manifestation réunit 400 œuvres de 90 créateurs – designers, architectes, artistes... – autour de l’évolution de la nature dans le design. Point n’est besoin toutefois d’être végétarien pour faire la visite, même si le « bio » est roi : biomorphisme, biomimétisme, biofabrication, biomatériau, biodégradable, etc. L’exploration y est aussi prospective qu’historique.
Comme il fallait s’y attendre avec une telle thématique, le parcours fait feu de tout bois. On se délecte d’ailleurs d’observer la façon dont lesdits créateurs s’emparent de ce dernier matériau. En Finlande, l’architecte Alvar Aalto le moule pour façonner des assises délicates au plus proche du corps (Fauteuil à haut dossier, 1930). Au Japon, le designer Ubunji Kidokoro, lui, conçoit, en 1937, un splendide fauteuil en sublimant les capacités de torsion du bambou, matériau malléable dont usera, plus tard, Charlotte Perriand pour élaborer sa fameuse chaise longue nippone. Le langage moderne qui se forge alors n’hésite pas à puiser dans ce monde des formes organiques.
La flore, évidemment, est présente dans tous ses états. A fortiori dès l’entame du parcours, avec les recherches de la période Art nouveau, au tournant du XXe siècle, dont Hector Guimard pour les stations du métro parisien. La nature, et pas que les fleurs, influence alors les formes artistiques – c’est la définition même du « biomorphisme » –, accompagne la modernité naissante et ne cessera, par la suite, d’irriguer la réflexion : un papillon (Sori Yanagi, tabouret Butterfly), une goutte d’eau (Arne Jacobsen, chaise Drop), une tulipe (Eero Saarinen, siège éponyme) ou une noix de coco (Georges Nelson, fauteuil Coconut). Sans oublier un splendide... champignon, soit le fauteuil Girolle de Jean-Pierre Laporte (1969), coque enveloppante synonyme d’acmé de l’assise hédoniste.
Entré dans les collections du musée national d’Art moderne il y a quelques années déjà, mais encore jamais présenté, un séduisant fonds Serge Mouille exhibe l’approche biomimétique de ce designer formé à l’orfèvrerie dans la conception de ses luminaires. Ce « tortilleur de tôle » – étiquette dont on affuble habituellement Jean Prouvé – bouscule le métal avec élégance pour lui façonner une douceur insoupçonnée. On peut notamment admirer une pleine vitrine de monotypes, mobiles et autres stabiles en lamelles de métal vrillées, des dessins – notamment sur ardoise –, ainsi que quelques spécimens notoires, dont le plafonnier Escargot.
Lorsque la représentation se fait par trop littérale, pas de panique : la critique pointe son nez. En témoigne le collectif transalpin Superstudio, l’un des protagonistes de l’architecture radicale dans les années 1960, avec son « canapé-habitacle » Bazaar, en polyester renforcé de fibres de verre et habillé d’un jersey reproduisant des herbes hautes au format XL. Outre la quête d’un mode de vie communautaire, cette nature « artificialisée » confine ainsi au kitsch.
À l’orée du XXIe siècle, avec l’apparition de logiciels sophistiqués et autres algorithmes de conception, une « naturalité » numérique nouvelle a poussé. La chaise Corolised de Ross Lovegrove conçue par la technique du frittage de poudre figure la richesse ornementale des coraux. Mathias Bengtsson, lui, s’est inspiré de la croissance organique de la liane pour dessiner la Growth Table Titanium, puis a usé d’une impression en 3D de titane, technologie issue de l’industrie aéronautique, pour la réaliser. En revanche, le cartel ne l’indique pas, le spécimen présenté, datant de 2016, est constitué de plusieurs éléments, dont le polissage extrêmement bien mené a fait disparaître les divers points de jonction. « Le designer m’a assuré qu’avec les technologies actuelles, il serait possible, aujourd’hui, de la fabriquer d’un seul tenant », indique Olivier Zeitoun, co-commissaire de l’exposition.
De nos jours d’ailleurs, c’est carrément le processus de production de la nature, autrement dit le « vivant », qui participe à la fabrication de l’objet ou, plus exactement, à la « bio-fabrication » de l’objet, grâce notamment à l’inclusion de micro-organismes. La Mycelium Chair du duo néerlandais Klarenbeek & Dros (2018-2019) a été conçue par impression en 3D de... mycélium de champignon, le tout plongé dans un mélange d’eau, de chanvre et de sciure. Le matériau végétal continue de produire de l’oxygène pendant son cycle de vie, d’où un objet qui, paraît-il, arbore une empreinte carbone négative. Pour stopper la croissance, il suffit ensuite de recouvrir le siège d’une mince couche de bioplastique. Et lorsque son utilisateur en aura marre, ledit siège pourra filer tout droit au... compost !
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« Mimèsis. Un design vivant », jusqu’au 6 février 2023, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz.