Au Guggenheim de Bilbao, près de cent œuvres balaient la carrière profuse et diverse de Jean Dubuffet (1901-1985). La spécificité de l’exposition ? Toutes proviennent de deux collections sœurs, celle du Solomon R. Guggenheim Museum de New York et celle de la Peggy Guggenheim Collection de Venise. « La plupart des meilleures œuvres capables de voyager sont là », précise David Horowitz, conservateur adjoint au Solomon R. Guggenheim Museum, en charge de l’exposition.
Le commissaire a fait le choix d’un parcours largement chronologique, « sauf pour ses dernières œuvres accrochées dans la première salle. Je pense que la plupart des gens qui les voient ne diraient pas d’emblée que c’est Dubuffet ! », poursuit-il. Enchevêtrements de ligne où la figure s’efface, Mire G 132 (Kowloon) de 1983 et Donnée de 1984, de la série Non-lieux (1984), montre jusqu’où l’artiste, sur ses vieux jours, a su aller… Les salles immenses du Guggenheim Bilbao permettent d’accueillir de grands formats dans un accrochage aéré. Le parti pris a été de laisser parler les œuvres, avec peu de panneaux explicatifs ou de mise en perspective dans l’histoire de l’art du XXe siècle. De même, l’aspect subversif de Dubuffet, apôtre de l’art brut, est mis en sourdine. L’exposition préfère insister sur la « dimension métaphysique » présente dans plusieurs œuvres, telle Substance d’astre, de 1959, réalisée à la feuille d’aluminium et peinture sur masonite, l’un des bijoux du parcours. « Je regrette que nous n’ayons pas de collage de papillons et aussi ses sculptures d’objets Figures ou de tableau de Barbe », glisse le commissaire. L’ensemble brille toutefois par ses peintures monumentales, comme Nunc Stans, de 1965, qui fait partie du fameux cycle de L’Hourloupe. Parmi les œuvres les plus cocasses et inattendues, figure une voile de bateau en polyester de 1976 ornée d’un chien façon Hourloupe, don de Harry et Linda Macklowe au Guggenheim – le couple en plein divorce a récemment dispersé sa collection chez Sotheby’s.
C’est l’exploration des formes et des matières qui est ici mise en avant, ainsi qu’une certaine ascèse passagère dans le motif et la palette choisis, à l’instar de la superbe Porte au chiendent de 1957, un collage de différents éléments peints, pour lequel l’artiste a recouru au dripping pour évoquer « une impression de matière fourmillante, vivante et scintillante », disait-il.
Porte au chiendent a été la première œuvre à entrer dans les collections du Guggenheim, qui possède l’un des plus beaux ensembles au monde de l’artiste. Cette singulière relation de Dubuffet avec les États-Unis, entre autres à travers la galerie Pierre Matisse à New York, et l’histoire de cette collection exceptionnelle auraient certainement mérité un focus dans l’exposition. « La fondation s’est intéressée tôt à Dubuffet, surtout à travers le deuxième directeur, James Johnson Sweeney, qui est resté dix ans et a considérablement orienté la collection vers l’art de l’époque. Ensuite, Thomas M. Messer a poursuivi et développé cet intérêt pour l’artiste en réalisant des acquisitions et des échanges avec lui. Ce dernier a aussi donné plusieurs œuvres au musée », explique David Horowitz. Des expositions majeures de Dubuffet ont été organisées en 1973 et en 1996 au Guggenheim de New York, et en 1986 à Venise. « Une grande partie des œuvres montrée ici ont déjà participé à des expositions historiques », ajoute le commissaire. Si elle ne révolutionne pas le regard sur l’artiste français, cette exposition de Bilbao apporte sa pierre à cette longue histoire, en témoignant de la reconnaissance constante de Dubuffet outre-Atlantique.
« Jean Dubuffet : ardente célébration », jusqu’au 21 août 2022, Guggenheim Museum Bilbao, 2, avenida Abandoibarra, Bilbao, Espagne, www.guggenheim-bilbao.eus