Avec son pseudo emprunté à la chouette (Owl en anglais), Owlle est un drôle d’oiseau (de nuit) dans le paysage musical français. Après deux albums electro pop anglophones, forts remarqués à l’étranger notamment, elle publie Folle Machine, un nouveau rouage discographique sur lequel elle chante en français. Avec ses titres « trop pointus pour NRJ, trop pop pour France Inter », confie-t-elle, la chanteuse est une créature hybride qui fixe son propre cap en toute liberté. France Picoulet, de son vrai nom, ne tient ni en cage ni dans une case. Avant de s’envoler vers la musique, elle a d’abord étudié... la scénographie. Pour parler de son parcours, elle nous a donné rendez- vous dans le 11e arrondissement, à l’hôtel du Temps, l’endroit idéal pour actionner sa folle machine à remonter les ans.
L’ENVOL
Née à Cannes en 1986, France grandit à Vallauris (Alpes-Maritimes). Est-ce le fantôme de Pablo Picasso qui lui souffle l’envie de devenir artiste ? « Depuis toute petite, j’ai toujours été très créative. Mes maîtresses d’école m’ont encouragée dans cette voie, et j’ai intégré le lycée Carnot, à Cannes, qui proposait une option arts plastiques. » Très vite, son choix se porte vers la scénographie. « Ce qui me plaisait le plus, c’était d’investir des lieux, d’imaginer des espaces. » Elle est admise au Pavillon Bosio, l’École supérieure d’arts plastiques de Monaco, fondée en 2002 par l’historien d’art Michel Enrici. Pendant trois ans, elle travaille dans des conditions « magiques », notamment avec les Ballets de Monte-Carlo. « Je me suis intéressée à la chorégraphie et à l’univers des défilés de mode, de véritables moments de création, avec des stylistes comme Hussein Chalayan ou Thierry Mugler. Des personnalités atypiques qui explorent des zones un peu étranges. »
« Faire de la musique aujourd’hui, c’est aussi penser le visuel et la scène. Pour cela, les Beaux-Arts ont aiguisé mon regard. J’ai appris comment appréhender un espace, utiliser les lumières... »Owlle
Son diplôme de scénographe en poche, elle intègre l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris et découvre un autre monde. « Je venais d’une petite structure dans le sud de la France. À Paris, l’ambiance était plutôt froide. Il y avait un certain esprit de compétition. J’étais aussi impressionnée par ces grands ateliers et les enseignants prestigieux. » Elle fréquente l’atelier de la sculptrice Anne Rochette, puis obtient un stage au Bureau Betak, une agence spécialisée dans la production d’événements liés au luxe et à la mode. Elle entre dans la vie active et délaisse l’école à la fin de la première année. Sans regret. La musique prend alors de plus en plus de place dans sa vie. « La musique a toujours été là. Étudier la scénographie était une façon pour moi d’acquérir des connaissances qui pourraient me servir sur le plan musical. J’ai toujours aimé chanter. Mais je ne connais pas le solfège ni ne sais jouer d’un instrument. Je ne me sentais pas légitime. Les Beaux- Arts m’ont apporté un savoir-faire concret. » Lorsqu’on lui place un Omnichord entre les mains, c’est une révélation. Cette sorte de harpe électronique, inventée en 1981, lui permet de mettre en sons les mélodies qui lui trottent dans la tête. « Cela m’a donné envie d’acquérir de nouvelles machines pour composer. Soudain, un monde s’ouvrait à moi. Aux Beaux-Arts, j’ai beaucoup pratiqué l’art vidéo. J’avais déjà abordé les notions de programmation et de montage. Faire de la musique aujourd’hui, c’est aussi penser le visuel et la scène. Pour cela, les Beaux-Arts ont aiguisé mon regard. J’ai appris comment appréhender un espace, utiliser les lumières... » Serge Gainsbourg, Franz Ferdinand, Django Django, Flavien Berger... Owlle n’est pas la première musicienne à sortir des entrailles des Beaux-Arts. Preuve en est que la musique est moins une question de bagage technique que de sensibilité. « Après le bac, il fallait choisir une voie, explique cette grande blonde. Le côté scolaire de la musique ne m’intéressait pas. Je ne me voyais pas débuter la pratique d’un instrument à 18 ans. En revanche, ce que j’avais en moi, c’étaient le dessin, la peinture, imaginer des installations. L’art était un espace de création plus intuitif. Cela amène une approche plus libre de la musique. » En 2005, l’étudiante au Pavillon Bosio se rend à la Biennale d’art contemporain de Lyon où elle découvre une installation de Brian Eno. Le producteur de David Bowie, ancien membre de Roxy Music, est aussi plasticien, théoricien, visionnaire... Il est parti du constat qu’il n’existait aucun club à Londres pour se relaxer. Il a donc créé The Quiet Club, une vaste pièce sombre baignée d’une musique ambient où tournoient des panneaux de lumières colorées parmi des statues grecques. « L’installation était hypnotique. J’ai eu un vrai coup de foudre, se souvient-elle. Pour être honnête, je ne savais pas qui était Brian Eno à l’époque. Mais il avait réalisé ce à quoi j’aspirais : créer un pont entre les arts et la musique. Cela m’a fait du bien. J’ai toujours gardé cette œuvre en tête. » Lorsqu’elle décide, quelques années plus tard, de monter sa propre structure professionnelle pour produire sa musique, un nom surgit naturellement : Quiet Club.
ELECTRO POP ART
Pour accompagner la musique de son nouvel album, Folle Machine, Owlle a fait appel à Gourau & Phong, alias Benjamin Roulet et François Bellabas, un duo de photographes français passés par l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles qui conçoit des images virtuelles en trois dimensions. Le résultat est à la fois onirique et déstabilisant, chaotique et étrange. Un art numérique que l’artiste pop a appris à apprécier. Ses références sont plutôt à chercher du côté de Pierre Huyghe, Ernesto Neto, Anish Kapoor, Cindy Sherman et Cyprien Gaillard. Des artistes qui travaillent sur l’hybridation, l’organique et le mécanique, le rapport au corps et à l’identité. « Ce qui me plaît chez eux, c’est le côté fiction, l’idée de transformation. Le lévrier blanc à la patte rose de Pierre Huyghe m’a inspiré le sphynx, ce chat nu présent sur toutes les images de mon album. » Owlle sait bien que la pochette de son nouvel album n’est pas la plus commerciale. Mais elle est fidèle à sa volonté d’expérimenter. « Aujourd’hui, en musique, pour exister, il faut avoir une image très formatée. Mon but n’est pas de faire du chiffre, mais de proposer une œuvre globale. Ce n’est pas juste un album, c’est un tout. » Owlle vole au milieu de vents contraires. Sa musique touche les millions de téléspectateurs qui regardent la série Emily in Paris sur Netflix. Elle ne rêve que de préparer une performance sur mesure pour l’auditorium de la Bourse de Commerce – Pinault Collection. La chanteuse échappe aux codes conventionnels. En France, elle déstabilise. Selon elle, les Anglo-saxons sont plus ouverts. Au fil du temps, l’ancienne étudiante aux Beaux-Arts et l’artiste pop sont de plus en plus sur la même ligne, une trajectoire connectée à la nouvelle scène de l’art contemporain. Pour son prochain live, qui sera en tournée en avril, elle s’est ainsi rapprochée des plasticiens Salomé Chatriot et Samuel Fasse. « J’avais été marquée par une de leurs installations, repérée sur Instagram, une sorte de structure en métal modulable. Cela m’a rappelé un projet que j’avais créé au Pavillon Bosio. » Sur scène, Owlle sera la protagoniste de leur œuvre Look How I am Morphing. La scénographe a hâte de s’approprier ce nouvel espace.
Owlle, Folle Machine, Paris, Quiet Club et BMG Music Publishing, 2022 ; consulter les dates de la tournée sur instagram.com/owlle owlle.com