Au Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Grand Large, installé depuis 2013 dans l’ancien chantier naval de Dunkerque, l’exposition « Vrac Multivrac » de l’artiste Delphine Reist embarque le visiteur dans l’histoire et les précédentes fonctions des lieux.
Initialement voué à la manufacture de navires et de vraquiers, cet espace est aujourd’hui habité par des œuvres qui renvoient à l’univers industriel. Elles attestent d’une société régie par un rythme de production effréné. Les manœuvres automatiques qui ponctuent l’univers du travail prennent une forme concrète dans chacune des installations. Ces dispositifs alliant produits consommables et outils mécaniques se déploient dans un cadre à la fois familier et déconcertant.
Le visiteur déambule dans un espace façonné par les objets. Le grand absent de ce tableau n’est autre que l’homme qui, après s’être frénétiquement livré à son travail, finit par disparaître. Envisagée comme un maillon au sein d’un rouage, sa présence est remplacée par celle des machines. L’œuvre intitulée Scanner s’impose ainsi comme un appareil surdimensionné dont les rayons lumineux semblent engloutir quiconque se trouve sur leur chemin. Cette installation, dont l’aspect rappelle celui d’une imprimante, s’active par elle-même et dispose ainsi d’un certain degré d’autonomie. Désormais libérés de l’emprise humaine, ces outils prennent une forme inquiétante. L’installation Étagères revêt quant à elle un caractère obscur. Elle abrite des perforateurs électriques qui, de temps à autre, émettent une vibration dont l’impact menace de briser les vitres qui les retiennent. Tels des monstres en cage, ces engins poussent des rugissements aigus faisant parfois sursauter le visiteur.
Cet espace désinvesti de toute présence humaine cède ensuite la place à un monde absurde et chaotique. C’est une vision postapocalyptique que l’artiste présente au travers de ces installations. Les flux incessants qui caractérisent les zones portuaires sont tragiquement mis à l’arrêt. Dans Grande Unité de production, les seaux renversés demeurent figés, laissant entrevoir une maladresse qui se reproduit sans cesse. Le béton, solidifié au cours de sa chute, n’est plus qu’un débris dénué de toute utilité. En traversant ce couloir, le visiteur erre parmi les ruines de l’industrie. Plus encore, certaines salles font songer à un champ de bataille. Dans Tesson, les murs sont parsemés de traces provenant d’une pluie de projectiles. Si l’empreinte des bouteilles brisées renvoie à la tradition inaugurale des navires, elle évoque également le souvenir sanglant d’un combat.
Imprégné du désordre qui règne, le visiteur prend part à une expérience multisensorielle. Il s’aventure dans un milieu hostile représentatif de l’ère moderne. L’odorat, l’ouïe et la vision sont sollicités afin d’orienter ses perceptions. Au fur et à mesure du parcours, le public est amené à prendre conscience de l’environnement malsain dans lequel il baigne souvent. La pollution sonore, les odeurs lancinantes et les couleurs ternes qui font partie intégrante de notre quotidien, sont ici exacerbées.
Si les œuvres témoignent des préoccupations latentes liées au travail compulsif, elles sont également traversées par une lueur d’espoir. Au-delà de leur caractère inquiétant, les installations poussent le visiteur à la contemplation. Si la plupart des travaux sont issus d’une démarche répétitive, il est toutefois possible d’y déceler de la singularité. Que ce soit par un écart au niveau des formes ou par une légère variation à l’échelle des motifs, Delphine Reist rend compte d’une subjectivité qui persiste dans la sphère de production. Ainsi, on comprend que le rapport intime avec la matière à travailler résiste aux contraintes imposées par le régime industriel.
« Vrac Multivrac », jusqu’au 31 décembre 2022, FRAC Grand Large Hauts-de-France, 503 avenue des Bancs de Flandres, 59140 Dunkerque, https://www.fracgrandlarge-hdf.fr