Après William Bouguereau, Paul Baudry, Alexandre Cabanel et Albert Maignan, réhabilités par de grandes expositions, c’est au tour de Jules-Eugène Lenepveu (1819-1898) de sortir du purgatoire de l’histoire de l’art. Étrangement, le moins connu des artistes autrefois dits «pompiers» est pourtant celui qui contribua aux chantiers parisiens les plus célèbres, de l’Opéra Garnier au musée du Louvre en passant par le Panthéon. Peu préoccupé par sa publicité, préférant la reconnaissance de ses pairs à celle du public, Lenepveu apparaît finalement plus soucieux qu’on ne l’imaginait de sa postérité. La rétrospective au musée des Beaux-Arts d’Angers révèle le legs fabuleux qu’il fit à la ville avant de mourir : cartons grandeur nature, esquisses, maquettes… Le maître avait tout conservé. Enfin exhumées des réserves, ces œuvres font resurgir ses grands décors oubliés ou disparus, à commencer par le plafond mythique et désormais fantôme de l’Opéra de Paris.
Ce plafond, que l’on ne pouvait plus admirer qu’à la faveur d’un heureux mouvement de caméra de Billy Wilder dans Ariane (Love in the Afternoon, 1957), réapparaît dans toute sa splendeur, grâce aux immenses dessins préparatoires restaurés pour l’occasion. Les curieux comme les nostalgiques pourront réaliser leur fantasme le plus cher : regarder derrière le plafond de Marc Chagall sans même le décrocher et sans nul échafaudage. Recouverte depuis 1964, sacrifiée par André Malraux à une époque où l’on faisait si peu de cas du Second Empire, la peinture Les Muses et les Heures du jour et de la nuit (1871) continue de virevolter en secret, à l’abri des regards.
FASCINATION POUR L’ITALIE
Si l’exposition évite sagement de nourrir cette querelle sempiternelle des Anciens et des Modernes, elle n’en dévoile pas moins les qualités éblouissantes du projet de Jules-Eugène Lenepveu. Au pied des gigantesques lés qui servirent au peintre et à ses assistants à transposer le dessin sur la coupole de cuivre, on ne peut qu’être séduit par la grâce des figures et la volupté de leur ballet. La virtuosité de la composition, plus éclectique qu’académique, dénote la fascination du peintre pour les maîtres anciens, ceux du Grand Siècle comme ceux de la Renaissance.
Les mauvaises langues n’ont pas attendu le XXe siècle pour se faire entendre. Dès l’inauguration des fresques du Panthéon, consacrées à la vie de Jeanne d’Arc, Albert Maignan se plaisait à souligner que « la rue Saint-Sulpice en délire [n’avait] rien inventé de plus plat ». Il serait sans doute surpris d’apprendre que ce cycle compte aujourd’hui parmi les plus admirés du public ! Il y a fort à parier que les visiteurs, enthousiasmés par le destin rocambolesque de ses nombreuses réalisations, ne tarderont pas à se mettre en quête de décors intacts de l’artiste. Ils arpenteront bientôt les églises de Paris (Sainte-Clotilde, Saint-Ambroise, Saint-Louis-en-l’Île), à l’abri desquelles ces peintures si longtemps délaissées semblent enfin sauvées de l’indifférence. Pour preuve, l’éclatante restauration de la chapelle Sainte-Anne, dans l’église Saint-Sulpice, s’achève quand s’ouvre la rétrospective angevine.
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« Jules-Eugène Lenepveu, peintre du monumental », 24 juin 2022-8 janvier 2023, musée des Beaux-Arts, 14, rue du Musée, 49100 Angers.