Bruno Latour est décédé dans la nuit du 8 au 9 octobre, à Paris, à l’âge de 75 ans, après une longue lutte contre la maladie. Né à Beaune en 1947, agrégé de philosophie, il restera comme l’une des voix contemporaines ayant porté une réflexion profonde et originale sur la crise écologique et, tel que le qualifie Le Monde, le penseur du « nouveau régime climatique ». Auteur d’ouvrages précurseurs devenus des références, traduits dans le monde entier – Nous n’avons jamais été modernes (1991), La vie de laboratoire (avec Steve Woolgar, 2006), Enquête sur les modes d’existence (2012), Face à Gaïa (2015) –, il laisse une œuvre marquée par une insatiable curiosité, en dehors des sentiers battus, faisant montre d’une intelligence et d’une hauteur de vue qui faisaient le sel de sa conversation et lui ont valu de nombreuses distinctions, du prix Holberg (2013) au prix de Kyoto (2021) pour l’ensemble de ses recherches.
En vertu de l’adage qui veut que nul ne soit prophète en son pays, le philosophe français a été célébré à l’étranger avant une reconnaissance relativement tardive dans l’Hexagone, plus particulièrement pour ses écrits et ses prises de position sur la question écologique. Dans un entretien à L’Obs à l’occasion de la publication d’un Mémo sur la nouvelle classe écologique, en janvier 2022, à la question : « Vous avez une œuvre absolument considérable. Qu’aimeriez-vous qu’on retienne d’elle ? », Bruno Latour avait répondu : « Si vous me demandez ma contribution personnelle, je dirais que c’est mon travail sur la pluralité des modes d’existence et leur description, autrement dit l’anthropologie moderne. […] Je considère quand même que j’ai été un peu détourné de mon étude principale par Gaïa. Je n’ai pas encore réglé cette question… »
Féru d’art contemporain, domaine où il trouvait matière à prolonger ses réflexions et côtoyait de nombreux artistes, Bruno Latour était professeur émérite, associé au médialab et à l’École des arts politiques (SPEAP) de Sciences Po Paris. Enseignant au Zentrum für Kunst und Medien (ZKM) et à la Hochschüle für Gestaltung (HfG) à Karlsruhe, en Allemagne, il a été commissaire des expositions « Iconoclash : Beyond the Image Wars in Science, Religion, and Art » avec Peter Weibel (2002), « Making Things Public : Atmospheres of Democracy » (2005), « Reset Modernity ! » (2016) et membre du comité chargé du commissariat de l’exposition « Critical Zones : Observatories for Earthly Politics » (2020-2022). En 2012, il conçoit la série d’événements « Anthropocène Monument » aux Abattoirs de Toulouse, dont une exposition et un colloque international. En 2020, il a également été l’un des trois commissaires (avec Martin Guinard et Eva Lin) de la 12e édition de la Biennale de Taïpei, qui a par la suite donné lieu à une exposition au centre Pompidou-Metz, la manifestation intitulée « You and I don’t live on the same Planet/Toi et moi, on ne vit pas sur la même planète » dans la capitale taïwanaise ayant été percutée de plein fouet par la pandémie.
« Avec Bruno Latour, notre temps perd un penseur dont l’inventivité et la vigilance savaient à la fois renouveler de fond en comble notre façon de voir le monde, et réarmer nos consciences pour affronter les défis planétaires. Le Centre Pompidou, lui, perd un immense expérimentateur : à Beaubourg, Bruno Latour n’a cessé au fil des années de revenir pour tester de nouveaux croisements entre la recherche et la création, l’art et la politique, la science et le débat public, transgressant les frontières entre les formes d’expression pour mieux faire apparaître ce qu’ont d’artificiels les partages inscrits dans nos habitudes de pensée », a salué Mathieu Potte-Bonneville, directeur du département culture & création du Centre Pompidou.
L’institution lui consacre, avec AOC dont il était l’un des soutiens et contributeur, une soirée hommage ce lundi 10 octobre à partir de 20 h 30.