Commençons par évoquer votre parcours de collectionneur…
Je suis atteint de collectionnite aiguë. J’ai toujours collectionné. Enfant d’abord, avec les timbres et des cailloux que je trouvais sur les plages. Puis, dans les années 1970, lorsque j’étais à Harvard, j’ai commencé à collectionner les artistes américains, Sol LeWitt, Ed Ruscha, etc. À 30 ans, j’avais donc formé une petite collection, mais c’était la collection d’un bon dentiste de Maubeuge : les noms étaient les bons, mais les pièces n’étaient pas extraordinaires. Je suis devenu ami avec le collectionneur Charles Saatchi qui m’a conseillé de me spécialiser dans un domaine. Lorsqu’en 1989, j’ai visité l’exposition « Magiciens de la terre », au Centre Pompidou et à la Villette, j’ai été charmé par toutes les œuvres d’artistes africains comme Chéri Samba, Bodys Isek Kingelez, Frédéric Bruly Bouabré… J’ai rencontré André Magnin qui était chargé de la section africaine pour cette exposition et nous avons commencé à travailler ensemble.
Comment avez-vous construit votre collection d’art africain contemporain avec André Magnin ?
Pendant vingt-trois ans, André Magnin a sillonné l’Afrique et c’est ainsi que nous avons construit ensemble les débuts de ma collection africaine. À cette époque, tout était plus compliqué car il n’y avait ni Internet, ni téléphone portable. Envoyer de l’argent en Afrique était difficile, les tableaux arrivaient enroulés sur des manches à balai, souvent impossibles à décoller ; les sculptures étaient infestées d’insectes et devaient être envoyées à Lyon pour être nettoyées. Aujourd’hui, tout le processus est largement simplifié et notamment grâce aux foires qui permettent de centraliser les vendeurs.
Vous préparez actuellement l’ouverture d’un musée à Cannes à partir de cette collection.
J’ai eu un très bon rapport avec David Lisnard, le maire de Cannes, avec qui nous avons décidé de créer un musée, qui devrait ouvrir d’ici deux ou trois ans. Pour les cinq premières années, je serai le directeur artistique. Ce ne sera pas un musée figé, l’accrochage sera renouvelé régulièrement. Différents artistes africains seront montrés, ainsi que des œuvres d’art japonais et des photographies, avec l’intention de mélanger toutes mes collections. L’idée de ce musée est de faire rayonner l’art africain contemporain dans le monde entier, grâce notamment à des événements en ligne.
Quel regard portez-vous sur la reconnaissance grandissante des créateurs africains ?
Quand j’ai commencé, on s’est moqué de moi, en me disant que l’art africain s’était arrêté en 1900 et qu’à part ce qui était présenté au Quai Branly ou au British Museum, rien n’avait grand intérêt. Je suis ravi qu’aujourd’hui tous ces peintres africains soient montrés dans des galeries, comme celle d’André Magnin [Magnin-A] ou celle de Mariane Ibrahim, entre Paris et Chicago. Il est également extraordinaire que des foires soient dédiées à ces travaux. Je pense par exemple à AKAA à Paris ou 1-54 à Londres. Pendant de nombreuses années, ces artistes africains ont été complètement ignorés. Seuls quelques farfelus comme moi s’y intéressaient. Désormais, le marché s’est complètement ouvert et il est facile de se constituer une collection d’art africain.
Par quoi êtes-vous intéressé aujourd’hui sur le marché de l’art ?
Je cherche surtout à découvrir deux ou trois jeunes artistes africains chaque année, des peintres, photographes ou sculpteurs, dont je ne citerai pas le nom car il faut entretenir un certain secret. Ce qui est aussi important, selon moi, c’est de constituer un véritable corpus pour chaque artiste. Il est difficile d’appréhender l’œuvre d’un créateur en ne possédant qu’une ou deux de ses productions. Par exemple, cela fait trente ans que je collectionne le travail de Chéri Samba, ce qui m’a permis de constituer un ensemble très intéressant.
Qu’allez-vous chercher à Paris+ ?
Les galeries qui vont m’intéresser en priorité sont celles présentant de l’art africain et de l’art japonais. Depuis quatre ans, lorsque je vais dans les foires, je mets des œillères. Bien sûr, je regarde tout, afin de m’informer, mais je n’achète que de l’art africain ou des jeunes japonais. Je suis désormais très spécialisé.
Comment percevez-vous l’importance prise par la capitale française sur la scène internationale et l’arrivée d’Art Basel à Paris ?
Je trouve formidable qu’Art Basel s’installe à Paris mais il est vrai que le nombre croissant de foires présentes au niveau mondial m’inquiète quelque peu. Entre Art Basel à Paris, en Suisse, à Miami Beach et à Hongkong, Frieze à Londres et à New York, ainsi que toutes les autres foires… tout cela me paraît énorme. Il y a vingt ans, nous avions Art Basel et tout ce qui y était présenté était d’une grande qualité. Aujourd’hui, je ne peux pas en dire autant. Il y a une inflation de galeries et d’artistes qui nuit forcément à la qualité de ce qui est présenté dans les foires.
Avez-vous l’impression que Paris a acquis une place particulière sur le marché de l’art ?
Bien sûr, puisqu’il y a beaucoup de collectionneurs à Paris. Jusqu’à il y a trente ou quarante ans, il y avait très peu d’art contemporain. Du temps de mes parents, les gens achetaient des Renoir et des Boudin qu’ils accrochaient au-dessus de leurs commodes Louis XVI. Désormais, il y a des collectionneurs d’art contemporain très sérieux en France. Du reste, avec le Brexit, il est maintenant plus compliqué d’acheter à Londres, et Paris en tire déjà parti.
Diriez-vous que Paris est devenu plus attractif que d’autres capitales ?
New York est de loin la ville la plus importante pour le marché de l’art. Je dirais que Paris reste encore en troisième position, après Londres. Ceci dit, pour moi qui suis très intéressé par l’art japonais, il y a l’attrait de la foire Asia Now, qui n’existe qu’à Paris. Je trouve formidable qu’une telle foire se soit développée, j’y ai d’ailleurs découvert de très belles choses ces dernières années. Cet effet centralisateur est vraiment la grande force des foires.
Collector's eye - Jean Pigozzi
À l’occasion de la première édition de Paris+ par Art Basel, le collectionneur évoque sa collection d’art africain contemporain, sa nouvelle passion pour l’art japonais ainsi que l’intérêt des foires d’art contemporain et la place de Paris sur le marché de l’art mondial.
21 octobre 2022