Aux grands maux, les grands moyens. Face à l’urgence écologique, de jeunes activistes ont multiplié ces derniers mois, dans plusieurs pays, les actions chocs dans les musées pour sensibiliser l’opinion et faire pression sur les décideurs économiques et politiques. Dans le sillage de Greta Thunberg, toute une génération mobilisée dans les manifestations Youth for Climate et plusieurs mouvements à la radicalité assumée, considère que l’heure n’est plus aux discours – si alarmistes soient-ils, à la lecture des derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – mais au passage à l’acte, seul moyen à leurs yeux de changer un système qui continue d’encourager les énergies fossiles et condamne à terme leur avenir même. « C’est LA question existentielle de notre temps, qui porte sur l’ensemble de ce qui fait le collectif humain, des éléments économiques, spirituels, artistiques, affectifs, qui constituent la vie. Et ce changement d’horizon est un renversement violent, et non une "transition" », résumait le regretté Bruno Latour, par ailleurs féru d’art. Comme le film-fable Don’t Look Up : Déni cosmique, le penseur de l’écologie politique appelait de ses vœux une mobilisation générale contre la catastrophe.
Dernier coup d’éclat en date, le 22 octobre, deux militants du groupe environnemental allemand Letzte Generation ont jeté de la purée de pommes de terre sur un tableau de la série des Meules (1890) de Claude Monet, protégé par une vitre, au musée Barberini de Potsdam, dans l’ouest de Berlin. La toile, prêtée par le milliardaire allemand Hasso Plattner, cofondateur du géant de l’informatique SAP AG, a été achetée en 2019 chez Sotheby’s à New York pour 110,7 millions de dollars – un record pour un tableau de Monet et l’œuvre impressionniste la plus chère jamais vendue aux enchères. « Si je comprends l’inquiétude urgente des militants face à la catastrophe climatique, je suis choquée par les moyens qu’ils utilisent pour donner du poids à leurs revendications », a déclaré la directrice du musée, Ortrud Westheider. En août, des membres du même collectif se sont attachés à quatre chefs-d’œuvre, à commencer par la Madone Sixtine (1512-1513) de Raphaël, à la Gemäldegalerie Alte Meister de Dresde.
Un autre groupe, Just Stop Oil, a défrayé la chronique, le 14 octobre, en aspergeant de sauce tomate les Tournesols (1888) de Vincent van Gogh à la National Gallery de Londres. Les deux jeunes femmes, qui ont ensuite collé leurs mains au mur, sous le tableau, ont affirmé l’avoir attaqué en réponse à l’inaction du gouvernement britannique face aux crises du coût de la vie et du climat. « Qu’est-ce qui vaut le plus ? L’art ou la vie ? Êtes-vous plus inquiets pour la protection d’une peinture ou pour celle de la planète et de sa population ? », ont-elles lancé. En juillet, le collectif avait déjà ciblé un autre chef-d’œuvre, The Hay Wain (1821) de John Constable. Deux activistes avaient, eux aussi, collé leurs doigts au cadre. Suivant un modus operandi similaire, des actions ont été menées à la Royal Academy of Arts, à la Courtauld Gallery, mais aussi à Glasgow, à Manchester, à Melbourne, aux musées du Vatican à Rome, à la Galleria degli Uffizi à Florence et au Museo del Novecento à Milan, à l’initiative de Ultima Generazione…
Ces attaques répétées contre des œuvres d’art dans des musées, au nom de la planète, relèvent davantage de l’appel à l’aide que du vandalisme à proprement parler. Leur médiatisation, comme les discours vibrants des protagonistes, peuvent-ils faire bouger les lignes ? Greenwashing, culpabilité ou soutien sincère, le Climate Emergency Fund, cofondé par Aileen Getty, petite-fille de J. Paul Getty, magnat du pétrole et fondateur du Getty Museum à Los Angeles, aurait fait don d’un million de dollars de sa fortune personnelle pour soutenir des groupes de défense de l’environnement, dont Letzte Generation, Just Stop Oil et Extinction Rebellion.
Condamnées par certains, ces opérations coup de poing spectaculaires – qui, faut-il le rappeler, n’ont à ce jour endommagé aucune œuvre – témoignent d’une volonté farouche de provoquer la réaction de leurs aînés, faisant mentir le cliché d’une jeunesse terrassée par la solastalgie, acquise aux prophètes de la collapsologie. Qu’une génération montante prenne son destin en main pour proclamer qu’un autre monde est possible, aspire à un futur qui ne serait pas la fin du monde annoncée, devrait réjouir, quand bien même le débat reste ouvert sur les moyens mis en œuvre. Se trompe-t-elle de cible ? Au risque, un jour, de détruire un chef-d'œuvre universel ? « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants », serait-on tenté de répondre. Peintres de la célébration de la nature, Monet, Van Gogh et Botticelli n’auraient probablement pas dit le contraire.